Le statut de la langue basque en Pays Basque Nord

D’une façon générale, le statut d’une langue c’est, dans une société donnée, la place qu’elle a aux côtés des autres langues. Aujourd’hui, en Pays Basque Nord, à côté de la langue basque (euskara en basque), nous avons une autre langue très puissante, le français. Les autres langues ont une influence plus faible, l’anglais par exemple, même si sa place grandit dans l’éducation ou l’économie, ou le castillan dans une moindre mesure et les langues de l’immigration. Par conséquent, dans le cas du basque, pour établir son statut, il faudra aussi établir celui du français.

Afin d’examiner le statut de la langue basque en Pays Basque Nord nous allons, d’une part, présenter son statut juridique, c’est celui qu’ont en France toutes les langues dites « régionales », et, d’autre part, les domaines d’usage de la langue et les fonctions qu’elle remplit. Cette présentation sera assez brève, générale, une première approche pour un spécialiste en sociolinguistique. En plus de ce texte-ci, pour mieux saisir le statut du basque, on pourra lire le texte intitulé « Le basque unifié en Pays Basque Nord aujourd’hui ». Dans ce dernier, les domaines d’usage de la langue présentés ici le sont aussi mais d’une autre façon ; comment le basque unifié a été introduit et comment il est utilisé.

Ici, évidemment, nous ne donnerons qu’une photographie d’une situation changeante, car la situation d’une langue vivante change, sans arrêt. Pour commencer voyons brièvement quels peuvent être les domaines d’usage d’une langue et ses fonctions.

1. Les domaines d’usage d’une langue et ses fonctions

Commençons avec les fonctions que peut remplir une langue. Les voici, plus ou moins, avec des variantes selon les sociolinguistes: internationale (ce n’est pas le cas du basque, puisque limité à une petite partie de deux Etats, plus la diaspora), officielle (elle reconnaît des droits aux locuteurs ou aux citoyens; elle n’est pas officielle en Pays Basque Nord, comme nous le verrons au chapitre suivant), nationale (pas de droits reconnus, mais la langue est une des caractéristique de l’identité personnelle), capitale ou provinciale (ni l’une, ni l’autre, le basque étant la langue d’une minorité en Pays Basque Nord), locale (oui, elle est d’ici, utilisée dans un petit territoire), propre (oui, les autres langues présentes sont arrivées ensuite), langue de civilisation (ce qualificatif est plutôt connoté), langue de culture (plutôt oui, avec ses difficultés dans le monde moderne actuel comme nous le verrons plus loin), langue de communication (non, en français on dit aussi langue véhiculaire, comme l’anglais, l’espagnol ou le swahili par exemple), langue de scolarisation (oui, c’est un acquis récent en Pays Basque Nord), de religion (le basque l’était, de moins en moins maintenant), de travail (non, ou très peu), de la famille (autrefois oui, maintenant peu), langue d’identité (oui, remarquons que le terme euskaldun par lequel les Basques se désignent signifierait « qui parle basque »), etc.

Liés aux fonctions, les domaines d’usage d’une langue peuvent être les suivants : l’administration, l’enseignement, les moyens de communication, la culture et le sport (les loisirs), le monde du travail et la vie sociale, les amis, la famille... La distinction entre ces domaines d’usage ne peut être parfaitement nette, un domaine peut chevaucher un autre. Par exemple la culture est aussi incluse dans le monde du travail, en partie du moins. L’enseignement également, que ce soit la production d’outils pédagogiques ou le professorat. De même les moyens de communication. Dans les chapitres qui suivent nous donnerons un aperçu de la place du basque dans ces différents domaines d’usage en Pays Basque Nord.

Mais tout d’abord notons que le statut juridique de la langue est très important, en particulier dans le cas d’une langue minoritaire. Cependant il n’est peut-être pas aussi décisif qu’on peut le dire ici ou là. L’attitude de la société où vit cette langue et l’attachement à sa propre langue de la communauté linguistique sont plus importants, selon moi, même si une législation favorable à celle-ci est bien sûr utile. Malgré une législation favorable, une langue peut être et rester menacée (le cas du gaëlique en Irlande est le plus cité).

2. Le statut juridique de la langue basque

La législation française

Au contraire de l’Espagne, les langues de France n’ont obtenu aucun type d’officialisation, sauf le français, et il n’y a qu’une seule législation, celle de l’Etat. L‘article 2 de la Constituions française dit ceci : « La langue de la République est le français » (1992)(1) et l’article 75-1 : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France » (2008). Et depuis l’article 2 a été systématiquement utilisé pour s’opposer aux avancées en faveur des langues régionales (nous donnerons ensuite un exemple) et, même si en apparence il est favorable, l’article 75-1 n’a jamais été utile. De plus, si en 1999 la France a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ensuite elle ne l’a jamais ratifiée. En conséquence, au niveau européen la France est très en retard dans le domaine des langues.

On compte une seule loi consacrée aux langues régionales, la loi Enseignement des langues et dialectes locaux dite Deixonne qui date de 1951. Elle est très limitée et depuis l’enseignement des langues régionales a été beaucoup plus loin, en particulier celui du basque et en basque, comme nous le verrons.

Le statut juridique de la langue basque en Pays Basque Nord

Donc, au contraire du Gouvernement autonome basque au Pays Basque Sud, les collectivités locales du Pays Basque Nord, par exemple la Communauté d’agglomération Pays Basque (voir plus bas), ne peuvent pas légiférer en faveur de la langue basque. Cependant, le 2 juin 2018, la Communauté d’agglomération Pays Basque créée le 1er janvier 2017 a reconnu « officiellement » « comme langues de son territoire » le basque et l’occitan gascon, « aux côtés de la langue française ». Même si elle est symbolique, cette reconnaissance montre que les collectivités locales sont prêtes à accorder une forme d’officialité à la langue basque, ce qui n’est pas le cas de l’Etat français.

En Pays Basque Nord, depuis longtemps, grâce aux associations qui travaillaient en faveur de la langue basque sa mauvaise situation a été peu à peu prise en compte, et depuis peu les pouvoirs publics ont mis en œuvre une politique linguistique, reconnaissant que la politique en faveur de la langue basque était un des champs des politiques publiques (plus particulièrement avec la création de l’Office public de la langue basque, 2004). Ces associations, appelons-les ces organisations non-gouvernementales, avaient ouvert de nombreux domaines d’usage de la langue. Si l’on veut faire une évaluation des actions et de leurs effets, il faudrait retourner aux années 80, si ce n’est plus en arrière: l’Académie de la langue basque (1919, régulation de la langue et soutien), première ikastola créée en 1969 (enseignement par immersion), première classe publique bilingue en 1983, radios émettant en basque en 1981 (Gure Irratia) et 1982 (Irulegiko Irratia et Xiberoko Botza), enseignement aux adultes (AEK), matériel pédagogique (Ikas), loisirs en basque pour enfants (Uda Leku), etc. Ces associations et une partie de la société civile ont été les premiers acteurs de la politique linguistique en faveur de la langue basque.

3. La langue basque dans les administrations en Pays Basque Nord

L’Etat, la Région et le Département

Au niveau des collectivités publiques, le premier pas a été sans doute, dans les années 90, l’installation par le Conseil général de panneaux bilingues sur certaines routes, qui ensuite a été généralisée à tout le Pays Basque Nord et de façon normalisée (sur ce point voire le texte « Le basque unifié en Pays Basque Nord aujourd’hui » de cette Introduction). Certaines communes en ont mis dans les rues, une signalétique bilingue dans les services communaux, une communication partiellement bilingue...

L’Etat est membre de l’Office public de la langue basque (OPLB). Les autres membres de ce groupement d’intérêt public sont la région Nouvelle Aquitaine, le département des Pyrénées-Atlantiques et la Communauté d’agglomération Pays Basque. Le Gouvernement autonome basque, de son côté, apporte tous les ans une aide financière à l’OPLB. Depuis 2006, la politique que mène l’OPLB a apporté des avancées certaines, en particulier dans l’enseignement du basque et en basque. Mais sa méthodologie, ses compétences et ses moyens ont montré aussi leurs limites. Nous ne rentrerons pas dans les détails par manque de place. Bien que membre de l’OPLB, l’Etat ne donne aucune place à la langue basque dans ses services en Pays Basque Nord. Le Département, plus proche du territoire, est plus volontariste, plus que la Région, dans ses services, l’apprentissage de la langue par ses agents ou dans sa communication. Mais un éventuel bilinguisme équilibré semble être un rêve lointain.

Pourtant, en 2007 le préfet des Pyrénées-Atlantiques d’alors avait cosigné avec le président de l’Office public de la langue basque une lettre importante au sujet du basque écrit, adressée à tous les maires du Pays Basque Nord. Je cite :

« Concernant le cadre légal et réglementaire de l’usage du basque dans la vie publique, nous tenons à vous préciser que la langue basque peut être utilisée aux côtés du français dans les différents documents, tampons et supports de communication officiels, seuls les intitulés en langue française ayant valeur juridique ». En conséquence, la langue basque peut être présente dans tous les documents ou supports produits par les mairies, les administrations ou dans le privé, à cette condition, que le texte soit aussi en français. Ici, c’est une lecture positive du cadre légal que nous avons. Et, pour le moment, nous sommes bien loin dans les faits en Pays Basque Nord de ce que cette lecture autorise.

La Communauté d’agglomération Pays Basque

Comme nous l’avons dit, la Communauté d’agglomération Pays Basque a été créée en 2017. Elle réunit les 158 communes du Pays Basque Nord, celles des trois provinces historiques (Labourd, Basse-Navarre et Soule) et s’est substituée aux 10 communautés de communes. C’est une nouvelle collectivité territoriale reconnue par la loi (Code général des Collectivités territoriales, loi Notre). Elle a son autonomie et ses compétences propres (principe de libre administration, article 72. de la Constitution). Avec l’« officialisation » de la langue basque rappelée plus haut, son Conseil communautaire a voté un projet de politique linguistique, « Euskara, rayonne sur les places » (Euskara jalgi hadi plazara en basque »), en juin 2018. Mais il est trop tôt pour dire ce qu’il apportera dans le processus en cours de revitalisation de la langue basque.

Les communes

En théorie, du fait de leur proximité avec les citoyens, les communes devraient avoir une plus grande sensibilité que les collectivités plus grandes à la situation et aux besoins de la langue. Dans la réalité les attitudes sont assez diverses. Sans donner de nom ou décerner de médaille, certaines communes ont recruté un technicien de la langue (ceux travaillant dans les communautés de communes continuent au sein de la Communauté d’agglomération), parfois deux, et elles ont mis en place une véritable politique linguistique. D’autres, souvent plus petites et arguant du manque de moyens, mis à part quelques actions symboliques ne font pas grand-chose. Elles ont à leur disposition l’aide technique des services de l’Office public de la langue basque et maintenant celle de ceux de la Communauté d’agglomération Pays Basque. Certaines l’utilisent. Il est clair que les communes du Pays Basque Nord pourraient faire beaucoup plus en faveur de la langue basque et ce n’est pas seulement un problème de finances. La volonté est plus importante, plus décisive. Quoiqu’il en soit, les mentalités ont changé dans le bon sens : il n’y a plus d’élus en Pays Basque Nord qui disent qu’ils sont contre la langue basque, comme il y en avait autrefois. Le plus souvent, c’est la volonté politique qui manque.

4. La langue basque dans l’enseignement en Pays Basque Nord

La première observation serait celle-ci, selon moi : si l’école a été l’outil sine qua non de la République française pour imposer le français et faire presque disparaître la langue basque (début du XIXème siècle – milieu du XXème siècle), l’école est devenue maintenant l’outil principal pour la revitaliser. Au lieu de le faire disparaître, l’enseignement scolaire est devenu le premier outil de transmission du basque en Pays Basque Nord, comme en Pays Basque Sud. Et dans ce retournement, l’Education nationale a un rôle essentiel, en payant les salaires des enseignants, en gérant la programmation de création ou suppression de postes, etc. Evidemment les collectivités locales prennent part à ce travail et la fédération Seaska qui développe le réseau d’établissement privés laïques immersifs (les ikastolas).

Il faut savoir que le modèle pédagogique immersif a été considéré comme non conforme à la loi par le Conseil d’Etat (décision du 29 novembre 2002) car il « va au-delà des exceptions autorisées par la loi ». La conséquence de cette décision est que le modèle immersif, même s’il est toléré, n’est pas officiellement admis. Or, ce modèle d’enseignement ne cesse de se développer en Pays Basque Nord (en 2018 il y avait quasiment 4000 élèves dans le réseau Seaska de l’école maternelle au lycée, plus des expérimentations en maternelle dans les écoles publiques et catholiques). De même, dans cette décision le Conseil d’Etat limitait le modèle bilingue à parité horaire, estimant qu’une partie au moins de l’enseignement des disciplines devait se faire en français. Pourtant ce modèle pédagogique se développe fortement, sans tenir compte semble-t-il de cette décision.

Voici en bref qu’elle est la situation de l’enseignement du basque et en basque aujourd’hui. L’enseignement du basque aux adultes géré essentiellement par l’association AEK serait également à présenter, mais l’espace nous est limité. Pour l’année scolaire 2017-2018, dans le premier degré, 39,4 % des enfants étaient inscrits dans l’enseignement immersif ou à parité horaire ; en maternelle ils étaient 46,2 %. Dans le premier degré toujours, l’enseignement immersif, plus efficace, recueillait % 10 % des élèves. Sachant qu’en 2016, parmi les 16 ans et plus, les bascophones représentaient % 20,5 de la population (51 200 personnes), nous pouvons dire que l’enseignement du basque et en basque a beaucoup de succès, et ceci de plus en plus. De nombreux parents non bascophones également souhaitent que leur enfant apprenne le basque. Par contre dans le secondaire on compte moins d’élèves, 20,4 % en collège et 10,6 % en lycée.

Le développement de cet enseignement produit des résultats positifs. Par exemple, selon la VIème enquête sociolinguistique de 2016, les bascophones représentaient 14,6 % de la tranche d’âge 35-49 ans, 15,7 % des 25-34 et 18,9 % des 16-24 ans. Cette augmentation chez les plus jeunes est due à l‘enseignement. Cependant, les enquêtes sociolinguistiques montrent que, d’une façon générale, la compétence linguistique de ceux qui ont appris le basque à l’école est moindre que celle de ceux qui l’ont appris en famille et également qu’ils utilisent moins la langue basque.

Donc, face au français dominant dans le Pays Basque Nord d’aujourd’hui, si la transmission par l’école du basque est nécessaire alors que la transmission familiale est faible, en plus de la transmission il est indispensable de développer son usage dans la société afin qu’il ne soit pas seulement une matière scolaire. Voilà le défi majeur de la politique linguistique, développer la transmission (la connaissance) et l’usage dans tous les domaines de le vie publique et privée. En dehors de l’enseignement, les avancées sont peu nombreuses et les résultats peu visibles. Cependant, on peut signaler par exemple dans les collectivités locales le réseau de techniciens de la langue que l’Office public de la langue basque a développé (une douzaine en 2018) géré maintenant par la Communauté d’agglomération ou le système de labellisation des crèches bilingues.

5. La langue basque dans la culture en Pays Basque Nord

Ce chapitre mériterait également une présentation plus développée. Nous ne ferons ici que quelques réflexions, en soulignant où sont les forces et les faiblesses dans l’optique de la revitalisation de la langue basque. Bien sûr il faudra prendre en compte cette culture des deux côtés de la frontière, car les échanges sont de plus en plus développés. Ce fait, la nécessité de prendre compte la réalité de façon transfrontalière, sera aussi évident dans le cas des médias et des moyens de communication (voir le chapitre suivant).

Le chant, la danse, le théâtre, le bertsolarisme

La langue basque et la culture traditionnelle sont par nature liées et, d’une façon assez générale, on peut dire que la culture basque est assez forte en Pays Basque Nord, si on la compare aux autres cultures traditionnelles en France. Elle repose essentiellement sur le travail bénévole. Il y a peu de professionnels. Le bertsolarisme, improvisation chantée, a su se renouveler, de nombreuses écoles d’improvisation ont été crées (17 en 2018, basées dans les ikastolas) et il y a beaucoup d’improvisateurs de nos jours, pour le bien de la langue basque. De même, la pastorale, les carnavals, les mascarades, les libertimendus, les toberas font preuve de vitalité. La pastorale se répand au-delà de la Soule, en Labourd et en Haute-Navarre. Malgré des difficultés, la transmission intergénérationnelle se fait. Dans certains cas, on peut parler de renaissance. Dans toutes ces formes d’art, la place des femmes est de plus en plus grande, parfois en évitant leur disparition. C’est le cas de la danse souletine traditionnelle, en notant que celle-ci a moins d’importance pour la langue elle-même.

Le cinéma, la production audio-visuelle

La production cinématographique en basque se fait au Pays Basque Sud, à part quelques exceptions comme Xora, le premier long-métrage en dialecte souletin (2012). Cette production du Sud est maintenant mieux diffusée au Nord. Dans le domaine des reportages et films documentaires, l’association Aldudarrak bideo / Kanaldude gère une télévison web participative en basque et produit toutes les semaines de nouveaux documents, en Pays Basque intérieur principalement. Au chapitre suivant, celui consacré aux moyens de communication, on reparlera de cette production, en soulignant le développement des relations transfrontalières.

La littérature

Pour connaître la situation de la littérature contemporaine en Pays Basque Nord, on lira dans cette Introduction le texte « La littérature basque en Iparralde (1960-2020) ». Si on la compare à celle du Pays Basque Sud, bien que moins abondante, cette littérature continue de vivre avec comme souci principal le lectorat qui se renouvelle peu parmi les jeunes.

Les sports

Stricto sensu le sport rentre pas dans la culture, mais d’une certaine façon il en fait partie. Avec la culture, il fait partie d’un domaine qui a pris beaucoup d’importance dans la société actuelle, celui des loisirs. De même que la consommation de production audio-visuelle : presse, radio, télévision, Internet, réseaux sociaux... (voir ci-dessous au chapitre 6).

Dans cette Introduction le texte « Le basque unifié aujourd’hui en Pays Basque Nord » rappelle la faible place de la langue basque dans le sport. Dans les sports traditionnels comme la pelote, la langue basque qui était toujours utilisée a quasiment disparu, sauf dans les échanges entre certains joueurs. Mais ceux-ci utilisent aussi la langue en dehors du sport. L’Office public de la langue basque a mis en place quelques actions, en signant par exemple des conventions avec des clubs de rugby renommés ou le Comité de pelote, mais pour le moment les résultats sont faibles, et surtout symboliques. Afin de développer la pratique de la langue dans le sport, des espoirs sont mis dans l’éducation sportive en milieu scolaire (ainsi en 2018-2019 un éducateur bascophone enseigne dans les ikastolas et écoles catholiques en Soule et Pays de Mixe).

6. La langue basque dans les moyens de communication en Pays Basque Nord

Ici aussi, c’est un domaine d’usage stratégique pour une langue minoritaire comme la langue basque. Dans ce monde de plus en plus connecté et globalisé qui change sans arrêt, son utilisation dans les moyens de communication sous ses quatre formes (compréhension et expression orales, compréhension et expression écrites) est de plus en plus cruciale. Qu’en est-il de la langue basque en Pays>Basque Nord ?

La presse

On peut penser que le lectorat de la presse en basque, comme c’est le cas pour la littérature, est assez réduit (nous n’avons pas de données fiables). Les publications entièrement en basque sont rares : l’hebdomadaire Herria produit à Bayonne et le quotidien Berria pour tout le Pays Basque (avec son supplément du vendredi Ipar Euskal Herriko Hitza consacré au Pays Basque Nord). Dans les autres publications, la place de la langue basque est restreinte, voire symbolique.

La radio

Dans cette Introduction on pourra lire dans le texte intitulé «  Le basque unifié en Pays Basque Nord… » le chapitre « Le basque unifié dans les radios ». On y apprend que le réseau Euskal Irratiak des cinq radios associatives basques réparties sur tout le Pays Basque Nord joue un rôle important dans la diffusion de la langue basque. La radio publique, France Bleu Pays Basque, émet une heure en basque par jour depuis Bayonne.

La télévision

La production télévisuelle en basque est faible en Pays Basque Nord. La chaîne nationale France 3 émet au maximum quelques minutes en basque par jour, parfois pas du tout. La chaine privée TVPI diffuse les productions de Kanaldude tous les jours, pendant une heure avec rediffusion plusieurs fois (Kanaldude a été déjà cité au chapitre 5).

Cependant, les deux chaînes en basque de EITB, le groupe audiovisuel du Gouvernement autonome basque, sont maintenant reçues sur tout le territoire : ETB1 et ETB3, la chaîne pour enfants. Dans la Communauté autonome basque (Euskadi) où le pourcentage de bascophones est plus important (33,9 % en 2016), l’audience de la chaine ETB1 est de 1,8 % (mars 2019). On peut supposer que son audience en Pays Basque Nord est encore plus faible. ETB1 diffuse en semaine un magazine d’informations de 10 minutes, Iparraldearen orena consacré au Pays Basque Nord. Nous ne connaissons pas son audience.

D’une façon générale, alors qu’aujourd’hui au moyen des satellites et d’Internet on peut recevoir les chaînes du Monde entier, celles en basque sont noyées mais accessibles.

Internet et les réseaux sociaux

De nos jours, Internet et les réseaux sociaux sont devenus plus importants que la radio et la télévision dans les habitudes de consommation, surtout chez les jeunes générations. Ici, encore plus, il nous faut examiner la situation de la langue basque au Nord et au Sud en même temps. La digitalisation efface les frontières et le basque a su prendre la vague de cette révolution. Voici quelques données.

En 2018, seulement 5 % des langues du Monde étaient utilisées sur Internet, et le basque était l’une d’elles. Le basque était parmi les 33 premières langues sur Twitter. Sur l’encyclopédie libre Wikipédia on comptait 292 langues et le basque est l’une d’elles. Au 01-04-2019 il y avait 330 001 articles en basque sur Wikipédia, et le basque occupait la 31ème place, mieux placé que certaines langues officielles de l’Union européenne. Facebook, Google et autres réseaux sociaux comme d’autres services Web sont utilisables en basque (le navigateur Firefox, la plateforme Wordpress, Moodle LMS...). Le correcteur orthographique et grammatical Xuxen, la traduction automatique, les applications pour téléphones portables, etc. sont accessibles en basque. Et ceci grâce au Gouvernement autonome basque, à quelques institutions et laboratoires de recherche (Elhuyar, IXA…) et à certains passionnés.

Cependant, si l’on prend en compte tous les sites Web du Pays Basque, 16 % seulement avaient un contenu en basque en 2017. Dans l’environnement digital, ce sont les contenus audiovisuels, les vidéos en particulier, qui occupent la plus grande place maintenant. Et sur les plateformes comme YouTube ou Netflix, les contenus en basque sont très rares. Ainsi dans ce vaste domaine en pleine évolution, s’il est possible au bascophone (alphabétisé) du Pays Basque Nord de parler, d’écrire, d’échanger, de jouer, de travailler, bref de vivre en langue basque, il est indispensable de renouveler et renforcer sans cesse la vitalité digitale de la langue basque.

7. La langue basque dans la vie économique et sociale en Pays Basque Nord

Pour terminer le tour des domaines d’usage possibles d’une langue, examinons brièvement la place de la langue basque dans la vie économique et les services en Pays Basque Nord. Nous avons examiné plus haut au chapitre 3 la politique des collectivités publiques. L’Office public de la langue basque a signé des conventions avec plusieurs acteurs du domaine, afin de développer l’usage oral et écrit de la langue.

C’est un travail long et difficile, la langue basque n’étant souvent pas dans les priorités des entreprises et institutions. Pourtant voilà une question à laquelle doit répondre la politique linguistique : Pourquoi apprendre le basque en basque de la maternelle au baccalauréat ou au doctorat, ensuite, une fois entré dans le monde du travail, pour ne jamais l’utiliser ? Voilà pourtant la réalité de beaucoup de jeunes en Pays Basque Nord, mis à part ceux qui enseignent le basque ou travaillent dans les médias ou la culture basque.

Le commerce

Dans certains pans du commerce, on a compris que le basque pouvait être un argument de vente, de plus en plus, pour les produits locaux mais pas seulement pour ceux de l’artisanat ou de l’agriculture. Ainsi, utilisant l’image positive du Pays Basque en France et dans le Monde, sur les étiquettes des produits et les supports de communication on trouve ici un mot en basque, là un drapeau basque, là-bas une croix basque. Utiliser la langue basque peut être vendeur car cela donne un gage d’authenticité au produit ou au service. Dans le texte intitulé « Le basque unifié en Pays Basque Nord aujourd’hui » de cette Introduction on montre comment pour des intérêts économiques le basque est utilisé dans le commerce, le tourisme, les services, et comment il est parfois mal utilisé (orthographe, mots inventés...). Ceci ne serait pas possible en français. Le basque est sur le chemin de la normalisation et sur cette voie il y a beaucoup à faire en Pays Basque Nord.

D’une façon générale, on peut dire que dans le commerce la langue basque a fait de petits pas, à l’image de ceux qu’a pu faire l’Office public de la langue basque avec la multinationale de meubles et décoration...

Les services

Dans le domaine de la médecine et des soins à la personne, l’Office public de la langue basque a signé des conventions de partenariat avec des hôpitaux et cliniques importants, afin de développer la présence et l’usage du basque. D’une façon générale, dans les autres domaines de le vie économique et sociale le français est ultra dominant. L’équilibre entre les deux langues sera le fruit d’un long processus, si jamais il se réalise. Si les pouvoirs publics français ont accepté l’enseignement du basque et en basque, il semble qu’ils ne sont pas prêts à aller plus loin, du moins à aider ce processus.

La Poste (dans les bureaux de poste ou les autres services) ou les opérateurs en télécommunication n’offrent pas de services en basque, au contraire d’Euskaltel par exemple en Pays Basque Sud. De même, la SNCF, entreprise de transport de voyageurs et marchandises, en dehors de quelques actions symboliques, ne donne pas de place à la langue basque. De même les fournisseurs d’eau ou d’électricité. Jusqu’à présent, la conscience, la pression sociale ou la nécessité du basque ne sont pas assez élevées. Pour le moment le basque n’est pas assez rentable. Mais cela peut changer. Voilà aussi un objectif de la politique linguistique en faveur du basque.

Le tourisme mériterait à lui seul tout un chapitre, le lien de cette activité économique avec le basque est de plus en plus évident.

L’industrie

Jusqu’au début du XXème siècle, le basque dominait dans l’agriculture, la pêche, l’artisanat, l’industrie de la chaussure, comme dans la société en général. Maintenant même si la substitution par le français n’est pas complètement achevée, il est clair que retourner la situation est très difficile. La construction aéronautique, l’industrie du surf ou l’industrie électronique sont devenues des activités internationales, comme le marché lui-même, et l’anglais serait plutôt la langue qui se substitue au français, ou du moins qui l’accompagne. Pourtant, les expériences menées en Pays Basque Sud seraient utiles pour relancer l’usage du basque et, bien sûr, les échanges entre les industries des deux côtés de la frontière. Il y a des partenariats et des marchés particuliers, liés à la langue basque.

La famille et l’environnement proche

Voici pour terminer ce parcours le dernier domaine d‘usage. Que dire de la situation du basque dans la famille et l‘environnement proche ? Ici, nous passons de la vie publique à la vie privée et il est plus difficile d’agir directement pour la politique linguistique. Au chapitre 6, nous avons parlé des moyens de communication. Ceux-ci pénètrent dans la vie privée de l’individu dans les maisons, les voitures, par les ordinateurs, les téléphones. Ils sont donc très importants pour faire vivre et développer la langue.

Mais la famille est aussi un lieu essentiel de la transmission de la langue basque, reliant de façon naturelle connaissance et usage. Depuis peu, disons jusqu’après la Seconde guerre mondiale, la famille était quasiment la seule à assurer la transmission de la langue basque en Pays Basque Nord dans une société où, en général, l’autarcie était plus grande, dans les fermes, les petits villages, les vallées isolées.

Selon la VIème enquête sociolinguistique de 2016, parmi les 65 ans et plus seulement 3,6 % avaient appris le basque hors de la famille. Au contraire, chez les 16-24 ans ils étaient 52,9 %. La transmission se fait de plus en plus par l’enseignement scolaire (voir chapitre 4). En 1996, ceux qui ont eu le basque comme première langue étaient 26,4 % de la population (plus 5,2 % le basque et le français) ; en 2016, 15,9 % seulement (plus 5,8 le basque et le français). La transmission familiale baisse donc. Mais comme on le constate ici ou là en Pays Basque Sud, on peut espérer que ces jeunes parents qui ont appris le basque à l’école le transmettent de plus en plus à leurs enfants.

8. Conclusions

Dans ce texte nous avons examiné rapidement le statut de la langue basque en Pays Basque Nord, c’est-à-dire les fonctions qu’elle remplit et ses domaines d’usage. Un tableau nuancé nous apparaît, l’absence de véritable protection juridique, quelques avancées dans l’enseignement du basque et en basque ou, grâce au Pays Basque Sud, dans les nouvelles technologies par exemple, ces dernières décennies, et à plus long terme un fort recul dans la famille ou l’agriculture. Une des caractéristiques de plus en plus nettes des domaines d’usage est leur caractère transfrontalier, au niveau des institutions, de la recherche et de l’enseignement, des associations de soutien à la langue basque. Un développement dont la langue bénéficie.

Pour assurer l’avenir de la langue, le monde du travail (administration, commerce, tourisme, services, agriculture, industrie...) et les loisirs (culture, sport, usage des nouvelles technologies...) sont essentiels, afin d’utiliser la langue apprise à l’école. Encore plus du fait que le basque est peu appris en famille et dans l’entourage proche. Evidemment, même s’il se développe, l’enseignement scolaire est à renforcer dans les années qui viennent mais aussi, même s’il est plus difficile d’agir directement dessus, la transmission familiale.

Pour cela, il est nécessaire d’avoir un mouvement social fort. Si nous retenons le modèle utilisé en théorie de politique linguistique, commanditaire / prestataire / bénéficiaire, les pouvoirs publics, l’Office public de la langue basque, l’Education nationale, les acteurs économiques et sociaux sont les commandataires. Ils peuvent parfois être prestataires (c’est clairement le cas de l’Office public de la langue basque et de l’Education nationale), avec les acteurs majeurs de la politique linguistique que sont les associations (Académie de la langue basque, AEK, Seaska, Ikas, Uda Leku, Euskal Irratiak, etc.). Mais aussi, de façon plus large, les traducteurs, écrivains, journalistes, artistes ou dans d’autres professions ceux qui utilisent et diffusent la langue basque. Y compris le boulanger qui parle en basque à sa cliente ! Et le bénéficiaire ? Au sens large, c’est la société évidemment, la communauté bascophone mais indirectement cette grande partie de la société qui n’est pas bascophone. Les enfants et les adultes qui apprennent le basque, l’utilisateur de Wikipédia en basque, le lecteur de l’hebdomadaire Herria, le citoyen qui à la mairie reçoit une réponse en basque à sa question, le touriste qui au cours de son voyage lit la signalétique bilingue...

La liste serait sans fin si le basque était une langue normalisée en Pays Basque Nord, si elle remplissait toutes les fonctions et domaines d’usage, comme le fait le français.

Jean-Baptiste Coyos
Académicien de la langue basque
10-10-2019


(1) Cet amendement à la Constitution porté en 1992 par les députés Toubon et Lamassoure qui n’étaient visiblement pas linguistes ou sociolinguistes, devait servir de rempart à la pénétration de l’anglais en France. On sait le succès qu’il a eu ! Si cela peut rassurer ces anciens députés, et les Français plus généralement, qu’ils notent que l’on considère qu’environ 25 000 mots de l’anglais viennent du français, soit les deux tiers.

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