Le basque unifié en Pays Basque Nord aujourd’hui

Ça, ce n’est pas du basque !

C’est au début des années 70 que j’ai entendu parler pour la première fois de ce qui allait faire l’objet de cet article, à savoir l’euskara batua (le basque unifié)(1). Je garde un souvenir assez précis de cette réunion de famille qui se tenait en Haute-Soule où, pour une raison qui m’échappe par contre totalement (je n’avais qu’une dizaine d’années), le thème fut abordé lors du repas. En effet, il avait provoqué un haussement de ton qui fait que, quarante-cinq ans plus tard, j’en garde un souvenir. Manifestement, les gens réunis autour de la table n’étaient pas d’accord. Mais je ne sais plus qui n’était pas d’accord avec qui, d’autant moins que le thème n’était, à l’époque, pas vraiment dans les préoccupations du jeune garçon que j’étais. Toujours est-il qu’une phrase, lancée par mon oncle, est restée gravée dans ma mémoire : « Hori ez dük eüskara, espainola dük! » (Ça ce n’est pas du basque, c’est de l’espagnol !)…

Le plus amusant dans cette anecdote est que, lorsque j’y repense et connaissant les acteurs en présence, le thème du basque n’était pas du tout, mais alors pas du tout, une préoccupation de la famille réunie. Lors de ces repas, on entendait parler de travaux des champs, de chasse, de voisins, voire de politique. Mais à l’époque le fait d’être basque n’était pas vraiment un sujet, même si les fameux « Enbata zikina » (sale Enbata(2)) avaient commencé à secouer le vieux monde. On était souletin, donc basque, et point final ; hors de cela pas de salut. Nous, les enfants, nous mangions à une table à part et cela faisait peu de temps que les femmes s’asseyaient à table avec les convives ; une autre révolution…

Quoi qu’il en soit, dans ce village reculé de Haute Soule, on avait entendu parler de ce qui se mettait en place et tous n’en pensaient pas que du bien…

La question est aujourd’hui, quelle place pour le basque unifié en Iparralde ? Est-il accepté, reconnu comme vecteur de transmission ? Par qui, dans quels domaines ? Va-t-il se développer et « tuer » les dialectes… ?

Mes premiers pas avec le basque unifié

Les lignes qui vont suivre ne sont que le reflet de mes propres réflexions et expériences, personnelles et professionnelles. Mais elles peuvent avoir de l’intérêt car, mon père ayant déménagé de la Soule vers la Côte pour des raisons professionnelles, toute la famille avait suivi. Et c’est comme cela que j’ai fait l’apprentissage du Pays Basque Nord dans sa globalité, même si au début la Basse-Navarre restait pour moi une zone un peu floue par laquelle on ne faisait que passer.

A l’époque, l’enseignement du basque en était à ses débuts en collège. Mais il existait, et dès la sixième au collège Ducontenia de Saint-Jean-de-Luz, je m’étais inscrit, désireux déjà d’approfondir des connaissances qui se limitaient à une compréhension orale globale. Mais là, pas de souletin. Notre professeure s’appelait madame Mendiharat et je lui dois certainement une bonne partie de mon parcours linguistique. Nous avions un livre, « La méthode Oñatibia », que malheureusement j’ai perdu depuis, mais qui fut sans conteste mon premier contact avec un basque écrit non souletin (le basque écrit souletin de l’époque, se trouvait essentiellement dans les livres de messe). La méthode en question était censée être adaptée au labourdin mais, à la réflexion, à part quelques caractéristiques verbales du type « zare » « gare » ou le titre même de l’ouvrage Méthode d’eskuara, elle était à mon avis un pas vers une « unification » du basque du Pays Basque Nord à destination des jeunes, avec toutefois un lexique pas toujours très adapté (par exemple enparantza pour plaza « la place »).

Nous étions un groupe d’élèves assez important, une quinzaine, et je me souviens très bien que mes camarades se moquaient parfois de moi à cause de mon accent « souletin chantant », allant jusqu’à suggérer que j’étais parisien, ce qui voulait dire, je crois, que je n’étais pas de là. Aucune conscience alors du fait basque global, chacun jouait pour sa petite paroisse mais en Soule on faisait pareil, et on continue beaucoup à le faire quand on dit : « Manexetik ez aize honik, ez jente honik » (du Manex ne vient ni bon vent, ni bonnes gens(3)). Cependant, à l’époque la société était bascophone et même sur la côte on entendait parler basque partout et tous les jours. Et le basque on l’apprenait surtout à la maison…

Quelques caractéristiques du basque unifié en Pays Basque Nord

Aujourd’hui tout a changé. Le basque appris à la maison est réduit à la portion congrue et les parents ont intégré le fait que notre langue s’apprend aussi, surtout, à l’école. Dès lors, on se décharge sur le travail des enseignants et on accepte assez facilement que nos enfants ne parlent pas tout à fait comme le faisaient nos parents. J’ai le souvenir d’un jeune élève bascophone de Briscous (un des rares) qui m’avait rapporté un jour que son grand père lui avait dit que le sapin en basque ça se disait sapina et pas izaia comme j’avais eu le tort de l’enseigner… On sort enfin de la momification de notre langue ! Combien de fois n’ai-je entendu dans la bouche des autoproclamés gardiens du temple, à cause de l’utilisation d’un simple synonyme « Ez dük gure eüskara » (Ce n’est pas notre basque) ou pire « Ez dük egiazko eüskara !» (Ce n’est pas le vrai basque). Des personnes qui, bien sûr, baignaient depuis toujours dans leur langue maternelle et la parlaient à merveille, sans en connaître toutefois, toutes ses richesses et subtilités, hors de leurs frontières provinciales et linguistiques. Mais aujourd’hui, plus personne ne se risque avec moi à ce genre de remarques. Bénéfice de l’âge certainement…

Avant d’entrer dans le détail de l’analyse de la présence, de l’importance et de l’avenir du basque unifié en Iparralde, voyons à présent rapidement quelles en sont les caractéristiques. Ce batua, si longtemps déprécié et rejeté c’est, à mon avis, d’abord la langue de l’intercompréhension, ce basque qui nous permet de communiquer sur l’ensemble du domaine linguistique du Pays Basque nord, d’Hendaye à Saint-Engrâce. Et il est donc tout d’abord, le résultat d’une volonté de communication, basée sur une acceptation des différences et un apprentissage scolaire qui permettent de sortir du carcan de la « bonne » langue pour mettre en pratique une langue utile.

Euskaltzaindia, l’Académie de la langue basque, est bien sûr à l’origine de ce mouvement de fond qui est assurément la garantie de l’avenir du parler basque dans nos provinces du Nord. Je reviendrai à plusieurs reprises sur le cas particulier du dialecte souletin.

Sans entrer dans les détails morphosyntaxiques qui ne sont pas l’important du sujet, le batua du Nord est, à mon avis, un concentré des variantes dialectales, atténuées, pour devenir une langue commune aux euskaldun (bascophones) du XXIème siècle, organisé autour d’un lexique du Pays Basque Nord (toujours les synonymes !) plutôt puriste et moderne. Telebista « la télévision », argazkia « la photo », kirola « le sport », hegazkina « l’avion », garapena « le développement »… ont remplacé dorénavant televisionea, fotoa, sporra, aviona, developamentia… Le basque unifié du Nord utilise de plus en plus le verbe unifié avec un système orthographique qu’à ma connaissance, plus personne ne remet en cause. Le dernier tenant d’une écriture du basque basée sur l’orthographe française devait être Ximun Peyran qui pendant de nombreuses années et jusqu’à une époque récente, a écrit une chronique dans le quinzomadaire Le Miroir de la Soule. Il ne viendrait plus à l’idée de personne aujourd’hui d’écrire « goure » pour gure, « ikhouchi » pour ikusi, etc.

Cela est sans aucun doute une grande avancée dans l’intercompréhension qui est toujours l’objectif de la mise en place du batua. La transcription en orthographe unifiée de phrases du dialecte souletin, dont les caractéristiques phonétiques peuvent compliquer sérieusement la compréhension de la langue orale, la permet facilement à tout bascophone sachant lire ! J’en veux pour preuve les paroles des livrets de pastorales jouées en Soule qui ne comptent plus désormais de version en batua ! Cependant, tout n’est pas rose et facile dans le développement d’une langue unifiée en Pays Basque Nord et les différents secteurs de sa vie sociale, culturelle ou économique. C’est ce que, dans un second temps, je vais essayer de montrer.

Le basque unifié dans l’enseignement

C’est là, à mon avis, mais j’en suis sûr, qu’une « langue unifiée » du Pays Basque Nord (on dit parfois Iparralde en basque) se construit. En effet, à part dans le cadre scolaire, où apprend-on à la lire et l’écrire sur les bases orthographiques évoquées plus haut ? Où prend-on connaissance de l’existence d’une littérature contemporaine basque, y compris bien sûr d’une presse bascophone qui s’exprime à plus de 95% en batua en Iparralde ? C’est à l’école ! Les enseignants que je connais bien, en sont conscients, ils sont les « chevaliers blancs » de notre langue… Même si en primaire et en collège une place importante est faite aux variations dialectales qui sont, de toute façon, une richesse et renforcent le lien affectif avec la langue (celle des aitatxi et amatxi, « grand-père » et « grand-mère »), d’entrée de jeu l’accent est mis sur l’orthographe unifiée et le vocabulaire « moderne » cité plus haut. Même au fin fond d’Amikuze (Pays de Mixe) ou de Haute Soule, les mots comme marrazki, hegazkin ou bilkura sont d’utilisation commune.

En ce qui concerne le verbe, la règle, non formalisée dans les textes officiels mais impulsée par l’Inspection pédagogique régionale de l’éducation nationale, veut qu’à l’écrit on utilise progressivement les formes du batua, tout en conservant la possibilité d’utiliser à l’oral les formes locales (par exemple gira plus local, en basque unifié gara), si tant est que les enfants les connaissent…

De même pour les examens écrits au brevet des collèges ou au baccalauréat. Les consignes des épreuves d’histoire et géographie et de mathématiques qui peuvent être rédigées en basque par les élèves utilisent une langue unifiée, ce qui est logique puisqu’elle s’adresse aux élèves bilingues du public et du privé, répartis entre Hendaye et Tardets…

Il est loin le temps où pour l’épreuve LV2 écrite du baccalauréat on proposait aux candidats trois sujets distincts : un en batua, un en navarro-labourdin et un en souletin. Depuis une dizaine d’année, un seul sujet pour tous, en langue unifiée.

Les consignes d’élaboration des sujets écrits pour le concours spécifique basque de recrutement de professeurs des écoles précisent même que la langue employée ne doit pas avoir de spécificités dialectales marquées ; on est bien là dans le thème de cet article. Les candidats conservent cependant la possibilité de composer dans leur variante dialectale, s’ils en connaissent une. Mais ils sont tenus de garder alors la plus grande cohérence linguistique, ce qui fait qu’à part pour les quelques candidats souletins, on peut dire que les copies sont quasiment toutes rédigées en basque unifié.

Pour les épreuves écrites du Capes de basque la question ne se pose même pas.

Enfin, les consignes des tests d’évaluation linguistique pratiqués à la fin du CM2 et de la 3° pour les élèves bilingues sont bien sûr toujours rédigées en batua, avec encore une concession dialectale pour les Souletins.

Comme on l’a compris, le secteur de l’enseignement, si important pour la récupération de notre langue, est donc sans conteste un vecteur fondamental dans l’établissement d’une langue unifiée en Iparralde.

Le basque unifié dans les médias

La presse écrite est le plus ancien média utilisé si l’on prend en compte la revue Ariel ou Uskal-Herriko Gaseta, revue créée à Bayonne par Agosti Xaho qui, dès 1836, préconise à plusieurs reprises l’enseignement exclusif du basque dans les écoles, la création d’une académie de la langue basque et l’établissement d’une orthographe unifiée, de bibliothèques, d’une littérature et de livres dans tous les domaines scientifiques et techniques en basque. Ces recommandations attendront un siècle avant de commencer à être mises en œuvre… Aujourd’hui, ce sont essentiellement le quotidien Berria (avec un supplément Pays Basque Nord le vendredi) et l’hebdomadaire Herria qui servent de vecteur à la langue basque unifiée écrite en Pays Basque Nord, chacun dans son registre plus ou moins local. Même si leur diffusion est, somme toute, assez limitée en termes de ventes, ils sont une référence incontournable dans l’établissement du batua, avec ses variantes nordistes, encore une fois essentiellement lexicales.

Les radios sont, à mon avis, le media le plus actif dans la diffusion du batua en Pays Basque Nord. Elles sont apparues au début des années 80, à l’époque des radios libres (la première étant, je crois, Radio Adour Navarre, disparue depuis). On en compte actuellement cinq qui émettent sur ce territoire. Elles sont très écoutées par une large proportion de la population bascophone ou en voie d’apprentissage, de 7 à 77 ans, et quatre d’entre elles (Euskal Irratiak : Antxeta Irratia, Gure Irratia, Irulegiko Irratia et Xiberoko Botza) ont la bonne idée d’avoir, à certains moments de la journée, une programmation commune, ce qui permet à tous les publics d’être en contact avec des variantes dialectales. Cela facilite bien sûr l’intercompréhension et il n’est pas rare d’entendre des auditeurs du Labourd ou de Basse-Navarre participer à des jeux animés par un journaliste souletin et vice versa : le côté interactif du media radio est un facteur important dans la connaissance et l’approfondissement de la langue basque à l’oral. On peut enfin écouter Euskadi Irratia sur pratiquement tout le territoire ainsi que Xorroxin Irratia, radio navarraise qui propose une langue très proche du batua d’Iparralde (du basque unifié du Nord)).

La télévision a longtemps été présentée, à juste titre je crois, comme un facteur d’acculturation et de débasquisation, puisque pendant de longues années, elle a trôné au milieu des cuisines, remplaçant la parole des anciens et délivrant ses messages soi-disant modernes, centralisateurs et exclusivement en français (je ne suis pas sûr qu’en 2018 cela ait vraiment changé…). L’arrivée d’Euskal Telebista au début des années 80 a été sans conteste une petite révolution malgré, à ses débuts, il faut bien le reconnaître, une langue difficilement compréhensible par le commun des mortels bascophones du Pays Basque Nord  Cela s’est heureusement amélioré avec le temps. Certaines émissions remportent même un succès d’audience, comme les parties de pelote de fin de semaine ou le journal de la mi-journée. J’ai le souvenir étonné de personnes plutôt âgées, qui dans les années 2000, au fin fond de la Soule, n’auraient manqué pour rien au monde un épisode de la série Goenkale… On ne saurait conclure ce paragraphe sur la télévision sans mentionner l’initiative associative de Kanaldude qui, avec peu de moyens, a su, au fil des années, investir la niche de la télévision locale de proximité et de qualité avec une programmation pratiquement exclusivement en basque (relayée régulièrement par TVPI), assurant ainsi à la langue unifiée d’Iparralde une place dans ce secteur si stratégique. Quant au service public, je ne le mentionnerai que pour critiquer son total désintérêt pour la langue basque.

A la différence de la télévision ou de la radio, l’internet a immédiatement intégré la langue basque et rien n’est plus facile aujourd’hui que de trouver toutes sortes d’informations concernant tous les sujets, pour peu qu’on écrive en basque sur le moteur de recherche. Là par contre, pas de variations dialectales ou autres subtilités, seul le basque unifié classique est utilisé. Je sais que cet outil est très employé (dans l’enseignement entre autres) et je pense que c’est une excellente chose, d’autant plus que dans la majorité des cas, la langue utilisée est d’une grande correction. Une partie de l’avenir de l’euskara passe aussi par ce média. Je n’aborderai pas le thème des réseaux sociaux qui relèvent de la sphère privée et que je ne connais pas vraiment…

La littérature, enfin. Sans être un vrai vecteur de l’information, elle véhicule des idées, des souvenirs, des émotions et elle est complétement investie dans la diffusion du batua. Conscients des enjeux et soucieux de l’avenir de notre langue en Pays Basque Nord, des auteurs contemporains comme Jean-Baptiste Dirassar ou Daniel Landart ont su, dès les années 80, investir le champ du basque unifié, combinant leur talent et leur formidable connaissance de l’euskara pour produire des œuvres de référence dont je ne citerai que Hegiko bordatik pour le premier (1995) et Aihen ahula pour le second (1989). La voie était tracée et les plus jeunes auteurs contemporains (Itxaro Borda entre autres) accentuent cette tendance, donnant à mon sens une réelle chance au batua du Pays Basque Nord d’exister, tout en étant reconnu sur l’ensemble du territoire bascophone. La revue littéraire et maison d’édition Maiatz, insuffisamment reconnue, participe de ce mouvement en offrant deux fois par an, un recueil de textes variés, s’inspirant de la consigne émise au XVIème siècle par notre prestigieux prédécesseur Bernat Etxepare, « Euskara, jalgi hadi plazara ! » (Langue basque, sors sur la place !) dans Linguae Vasconum Primitiae (1545).

Saluons enfin, à la frontière entre la littérature et l’internet la mise en place du dictionnaire électronique « Nola erran », instrument alliant le batua du Pays Basque Nord et la modernité.

Le basque unifié dans l’administration

Il faut distinguer les différentes strates de l’administration pour appréhender le thème de la place du basque dans ce secteur de la vie publique.

En ce qui concerne l’administration d’Etat, rien à dire ; pas d’officialité de la langue donc aucune place ne lui est faite dans les services de l’Etat.

Seules les strates les plus locales (Département, Communauté d’agglomération Pays Basque, communes) offrent, parfois, la possibilité d’utiliser l’euskara. Saluons tout d’abord les efforts faits dès les années 90 par le Département en matière de signalisation routière qui ont permis, avec le concours éclairé de l’Académie de la langue basque, de normaliser à la fois l’écriture des noms de lieux, même si, certains particularismes ayant la vie dure, on continue de voir des panneaux comme Ongi Ethorri ou D. Lohitzun ici ou là… Souvent la cohérence n’est pas de mise, parfois l’orthographe unifiée n’est pas respectée. On me dira que malgré tout « c’est mieux qu’avant » puisqu’il n’y avait rien d’autre que des panneaux un peu folkloriques verts et rouges plantés, à l’initiative des municipalités, à l’entrée des villages. C’est vrai, mais malgré tout je crois qu’il reste un effort important à faire dans le sens de la normalisation d’une part et de l’adaptation intelligente d’autre part. En écrivant cela, je pense à la signalisation autoroutière de l’A63 qui propose à l’automobiliste ébahi d’Hélette, ou d’ailleurs, un « hurrengo irteera » parfaitement exotique à la sortie de Saint-Jean-de-Luz sud, entre autres. Cela m’inspire la réflexion que le basque unifié n’a de sens et de possibilités de se développer que s’il est compris par la population à laquelle il est proposé. Cette signalisation est, je crois, l’exemple parfait de ce qu’il ne faudrait pas faire.

Quoi qu’il en soit, des efforts importants sont faits dans les administrations locales (municipalités, communautés de communes…) pour promouvoir l’usage de l’euskara par le biais de la formation de techniciens de la langue basque qui véhiculent une langue unifiée parfaitement adaptée aux usagers bascophones de leur secteur d’intervention.

J’ai pu, à titre personnel, le vérifier récemment au syndicat d’initiative de Saint-Pée-sur-Nivelle. On trouve encore, et malheureusement, des panneaux mal orthographiés, dont on ne sait pas si c’est le fabricant, peu au fait de la langue basque, ou bien le service demandeur qui en sont à l’origine. Je pense à la signalétique de la Communauté de communes de Soule qui a parsemé la ville de Mauléon de panneaux indiquant « lantegi erremüa » avec deux r, mais les exemples sont fréquents. Cela me choque d’autant plus que ce genre d’incident ne se produit jamais, ou presque, avec le français ; sans doute une autre conséquence de la diglossie ambiante.

On ne pourrait conclure ce paragraphe sans mentionner le travail énorme de l’Office public de la langue basque, mandaté par la société toute entière pour mettre en place une politique linguistique en faveur de la langue basque en Pays Basque Nord.

Le basque unifié dans la vie politique, associative et sportive

En ce qui concerne l’expression publique de ces organismes, je voudrais insister sur deux points : la présence dans la rue, au moyen d’affiches, tracts et autres supports publicitaires et la prise de parole des acteurs (sportifs, responsables politiques ou d’associations).

Même si son emploi est moins massif que par les années passées (modernité informatique oblige), l’affiche reste un moyen de communication important pour délivrer des informations. A ce niveau, on peut dire que le batua a totalement investi ce secteur. En effet, il suffit de regarder nos murs ou panneaux d’affichage pour le constater ; les jours de la semaine sont totalement normalisés (disparition à l’écrit de l’ibiakoitza bas-navarrais au profit de larunbata « le samedi »), et cela est valable pour l’ensemble des indications d’horaires, d’activités (kantaldi « concert de chants », bilkura « réunion », elkarretaratze « rencontre »), ou de lieux. Signalons que la Soule reste, encore une fois, un peu à part avec l’utilisation de ses synonymes propres (neskenegün « samedi », aühari « dîner » ou barantaila « février » …) même si le lexique du batua est fortement impliqué dans le remplacement de certains mots, par exemple txapelketa au lieu de zoinlehenka « compétition » ou rugby zelaia au lieu de rugby stada.  La signalétique, de plus en plus souvent bilingue. Des villes comme Bayonne sont encore un bon exemple de la prédominance du batua. Même si parfois on sent bien une propension à utiliser un lexique marqué Pays Basque Sud (pour faire plus unifié ?). Alors que l’emploi de synonymes nordistes serait tout à fait adapté, comme cela aurait pu être le cas, dans l’exemple de la signalisation de l’autoroute A63 dont je parlais plus haut. Quoi qu’il en soit, le basque est de plus en plus présent dans notre environnement visuel, de plus en plus normé et c’est forcément une bonne chose. Il est frappant, lorsqu’on quitte le Pays Basque vers le nord, de constater qu’en quelques centaines de mètres l’ensemble de la signalétique devient totalement française.

Le sport qui continue d’être une activité sociale majeure en ce début de vingt et unième siècle reste malheureusement bien éloigné des préoccupations linguistiques de cet article. Et il faut bien reconnaître que même si le Pays Basque Nord produit régulièrement des sportifs de haut niveau, il n’en va pas de même pour leur connaissance de la langue basque. Localement, à part dans quelques sports traditionnels comme la pelote, rares sont les sportifs capables de s’exprimer en basque. Il y a, c’est vrai quelques exceptions dans le monde du rugby. Saluons l’initiative de la fédération Seaska(4) qui a à cœur de lier le surf et la langue basque, tout en reconnaissant que les milliers de pratiquants de ce sport sont fort peu bascophones.

La parole publique est aussi, bien sûr, le fait du personnel politique ou syndical. A ce niveau, la présence du basque, avant même celle d’une langue unifiée, reste le fait essentiellement des formations abertzale (nationalistes ou indépendantistes) et affiliées. Une mention particulière pour le mouvement altermondialiste qui communique en mode bilingue et dans un basque unifié parfaitement maîtrisé. Localement, les partis politiques d’audience nationale n’ont, je crois, plus personne pour s’exprimer dans la langue d’Etxepare, comme pouvaient le faire dans les années 90 et 2000 quelques rares représentants du Parti Socialiste ou des Verts qui, de toute façon, n’utilisaient (parfois très bien reconnaissons-le) que la langue apprise à la maison, avec très peu de concessions faites au basque unifié et moderne qui nous intéresse aujourd’hui. Actuellement, je n’ai pas connaissance que le parti au pouvoir (La République en Marche) ou ses opposants (Les Républicains, La France insoumise…) aient de représentants capables de prendre la parole ou d’écrire le moindre communiqué en basque… Même si la politique en Iparralde sur les cinquante dernières années n’a pas vraiment utilisé la langue basque pour diffuser ses idées, on peut parler de régression plutôt inquiétante puisque cela signifie dans tous les cas que l’euskara n’a pas de valeur communicative à leurs yeux. C’est révélateur de son état. C’est aussi incohérent, dans la mesure où tous les partis politiques soutiennent la politique linguistique menée par l’Office public de la langue basque. Pour ce qui va des syndicats, le constat est le même ; à part LAB (Langile Abertzaleen Batzordeak), personne ne se soucie d’intégrer cette donnée. C’est encore révélateur du chemin qu’il reste à faire…

Le basque unifié dans la vie économique

On aurait pu rentrer cette partie dans celle de la signalétique, mais je pense qu’il mérite un peu plus. En effet, alors qu’aujourd’hui l’économie est le moteur de toute chose, il est intéressant (rassurant ?) de constater que ce secteur, si primordial et si peu enclin à faire la moindre place à tout ce qui n’est pas rentable, accorde une place de plus en plus importante à notre langue, d’Hendaye à Tardets, en particulier dans l’affichage, mais pas uniquement. Sans m’étendre sur ce sujet qui mériterait certainement qu’on y consacre plus de temps, je crois qu’il se passe quelque chose de positif pour l’euskara en Iparralde. Je ne citerai que deux exemples : les centres commerciaux de géants du commerce international implantés dans la zone Ametzondo de Saint-Pierre-d’Irube et la moyenne surface d’un magasin de bricolage du Pays Basque intérieur. Qu’ont-ils en commun ? Ils ont adopté une signalétique qui intègre la langue basque. Le fameux magasin de meubles en kit ainsi que l’hypermarché attenant signalent dans les deux langues et sans complexe leurs rayons, allées et autres informations. Bien sûr, les principaux destinataires de ces messages sont surtout les clients venus du Pays Basque Sud. Mais cette démarche commerciale met aussi en visibilité l’euskara batua et participe, à sa manière, de l’instauration d’une langue unifiée en Pays Basque Nord (le site internet du magasin de meubles s’inscrit dans la même démarche, même si l’utilisation du basque sert surtout à indiquer aux acheteurs les horaires d’ouverture et le chemin le plus court pour s’y rendre). En ce qui concerne le magasin de bricolage, les motivations commerciales ne sont pas les mêmes et les messages sont exclusivement à destination des clients locaux. Mais ils mettent à la vue de tous un lexique varié, spécialisé et plutôt unifié qui peut augmenter petit-à-petit les compétences lexicales des visiteurs.

On ne saurait terminer ce chapitre sans parler des panneaux publicitaires, des noms de nouvelles résidences, des enseignes commerciales et autres lieux publics, qui sont basques très fréquemment : Hiri-ondo (résidence), Belharra (résidence et clinique), Mendi alde (résidence), Aturri (collège), Makila (golf), Hormadi (patinoire), Pleita gunea (centre de fret), Hasiera (restaurant), Bi ahizpa (hôtel)…, avec souvent des approximations révélatrices d’une méconnaissance du basque comme Pinpilina (magasin de jouets), Xiloa gurmenta (restaurant), Etxe Peio (produits charcuterie)… Même si la langue employée n’est pas toujours, ni très cohérente, ni très guidée par les normes du batua, ces initiatives dont la portée commerciale est évidente, renforcent cependant le sentiment d’être dans une région où l’identité culturelle est forte avec une langue propre vivace. Cependant qui accepterait de voir écrit en français « pappillon », « le gourmand trou » ou « Peio maison » ? Ces messages ne sont évidemment pas à destination des bascophones…

Pour terminer cette analyse non exhaustive de la présence de l’euskara batua en Pays Basque Nord et son influence sur l’avenir de notre langue, je voudrais citer en premier lieu un article d’opinion d’Alex Gurrutxaga paru dans le quotidien en basque Berria du 9/02/2018 sur le thème de la diffusion du batua et sa coexistence avec le dialecte local. Bien sûr, il s’inspire de situations du Pays Basque Sud ; mais il me semble que cela est assez comparable à ce qui passe dans nos provinces du nord, tout en gardant à l’esprit l’énorme différence créée par l’existence ou pas d’un statut de co-officialité. Dans cet article, il s’insurge contre le fait que les tenants des dialectes du basque (souvent des sportifs) ont tendance, lorsqu’ils s’expriment dans les médias, à utiliser leur parler local au détriment du batua et souvent de l’intercompréhension, comme s’ils s’adressaient uniquement aux gens de leur région linguistique, sans le moindre souci de la diffusion de leur message en Hegoalde, et encore moins en Iparralde : aucune conscience nationale ! Il cite une réflexion de Jean-Louis Davant, académicien de la langue basque et souletin natif, qui dit : 

« L’avenir passe par le batua, qu’on le veuille ou pas. C’est le français qui tue le dialecte souletin, pas le batua.  A l’inverse c’est le batua qui le fera vivre. Nous avons besoin des deux. Les dialectes sont les racines, la richesse du batua. Sans eux, le batua ne peut pas vivre. Il peut rester une langue fade, artificielle, minérale, sans sentiments, sans vie, comme l’esperanto ».

Je souscris bien sûr totalement à cette réflexion qui doit nous guider pour trouver un compromis, un équilibre sur lesquels se construira l’euskara du siècle commençant.

Je veux terminer par une réflexion personnelle. Il est heureux, quelque part, que ce soient les nouvelles générations qui soient le plus bascophones (même si en Iparralde un travail énorme reste encore à faire) grâce aux efforts faits dans l’enseignement en particulier, car ce sont elles qui seront les bascophones de demain. Les jeunes sont plus mobiles que leurs aînés ; ils passent facilement d’une région à l’autre, du nord au sud et pour peu qu’ils aient une connaissance raisonnable de la langue basque, ils construiront le basque unifié de la rue, à l’instar de ce qui se passe dans tous les pays et toutes les langues du monde. L’intercompréhension et la conscience basque sont les piliers du basque de demain.

Jakes Sarraillet
Académicien correspondant
14-03-2018


(1) Euskara est le nom en basque de la langue basque. Pour Pays Basque Nord ou Pays Basque de France, certains utilisent le terme basque Iparralde « côté nord », et Hegoalde « côté sud » pour Pays Basque Sud ou Pays Basque d’Espagne.

(2) Sorte de qualificatif négatif de l’époque signifiant sale partisan du mouvement Enbata, sale indépendantiste.

(3) Le Manex est pour les Souletins l’ensemble du Pays Basque Nord en dehors de la Soule et un manex un Basque du Nord qui n’est pas souletin.

(4) Seaska gère les ikastola qui sont des écoles privées non-confessionnelles conventionnées par l’Etat (de la maternelle au lycée), où le modèle pédagogique est l’immersion complète en basque.

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