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Histoire du basque unifié en Pays Basque Nord

En plus de cinquante ans, le basque unifié a fait du chemin ; en Pays Basque Nord également (provinces historiques de Basse-Navarre, Labourd et Soule en France). Sa nécessité n’est plus mise en doute maintenant parmi ceux qui écrivent en basque et il est entré dans beaucoup de domaines de la vie sociale, à l’écrit mais aussi à l’oral. Cependant quelques clichés et préjugés circulent encore ici ou là, en particulier parmi ceux qui ne parlent pas basque. Il convient donc de bien examiner ce basque unifié pour comprendre ce qu’il est, comment il est né, où il en est, etc. C’est son histoire en Pays Basque Nord que nous raconterons ici, brièvement.

Nous savons que pour pouvoir faire ce récit, jusqu’au XXème siècle du moins, nous possédons peu de documents écrits dans cette langue. Ceux qui peuvent être utiles sont essentiellement des ouvrages religieux et des traductions (voir sur ce point dans cette Introduction le texte intitulé Brève histoire de la littérature en basque en Pays Basque Nord). Comme nous le verrons, les écrivains de ce territoire évoquent souvent dans l’avant-propos de leurs ouvrages les choix qu’ils font et les difficultés qu’ils ont à écrire en basque. C’est au travers de citations de ces auteurs que nous conterons cette histoire. Bien évidemment, au cours des siècles, il y a eu des échanges et des influences réciproques entre les écrivains et intellectuels du Pays Basque Nord et du Sud. Mais ici ce sont seulement ceux du Nord que nous citerons.

D’une façon générale, je dirais que l’histoire du basque unifié en Pays Basque Nord est une longue histoire, plus longue que certains pourraient le penser. D’une certaine façon elle a commencé au XVIème siècle avec Jean de Liçarrague.

1. XVIème siècle : Jean de Liçarrague

Dans le livre qu’il publia en 1545, Linguæ Vasconum Primitiæ (Les prémices de la langue des Basques), premier livre publié en basque, l’abbé Bernard d’Etchepare revendiquait que le basque « était apte pour être écrit comme les autres langues ». Mais en 1571 le prêtre devenu pasteur Jean de Liçarrague soulignait sa difficulté à écrire en basque dans l’avant-propos de son livre Jesus Christ Gure Jaunaren Testamentu Berria (Le Nouveau Testament de notre Seigneur Jésus Christ) :

(...) chacun sait comment au Pays Basque quasiment d’une maison à l’autre la façon de parler est différente et variée : c’est pour cette raison, sans en changer le véritable sens, que nous nous sommes attaché par la langue autant que faire se peut de nous faire comprendre de tous, et non par une langue d’un lieu particulier quel qu’il soit.

Ainsi, au XVIème siècle déjà, Liçarrague recherchait au-delà des parlers basques locaux une autre forme de basque, compréhensible de tous les bascophones, une sorte de basque unifié donc, en situant évidemment cette expression dans le contexte sociolinguistique de l’époque.

2. XVIIème siècle : Pierre Achular, Jean de Tartas, Arnauld d’Oihénart

Pierre Aguerre Azpilkueta « Achular » (1643)

Achular également, dans la partie « Irakurtzailleari » (Au lecteur) de son fameux livre Gero, bi partetan partitua eta berezia (Après, réparti en deux parties spécifiques) de 1643, évoquait la difficulté à écrire en basque due à sa grande diversité :

Je sais de même que je ne peux pas m’étendre sur toutes les façons de parler en basque. Car au Pays Basque on parle de beaucoup de façons différentes. En Haute-Navarre, en Basse-Navarre, en Soule, au Labourd, en Biscaye, en Guipuzcoa, au pays d’Alaba, et dans beaucoup d’autres lieux (…). Finalement chacun à sa façon, sa manière. Tous les Basques n’ont pas les mêmes lois et habitudes, et non plus la même façon de parler en basque, car ils ont des royaumes différents (...)

S’il avait été fait autant de livres en basque qu’il n’en a été fait en latin, en français ou d’autres langues, le basque serait aussi riche et accompli que ces langues, et si ce n’est pas le cas, c’est la faute des Basques eux-mêmes et non de la langue basque.

Ici, Achular avec raison nous signale que la langue basque, puisqu’elle a été jusqu’alors peu écrite, ne peut être aussi élaborée que les autres langues. C’est dans la deuxième moitié du XXème siècle que le souhait d’Achular se concrétisera vraiment : la littérature en basque deviendra une littérature de niveau international, donnant des œuvres dans tous les genres avec le développement du basque unifié.

Jean de Tartas (1666)

Vingt ans plus tard un autre homme d’église, Jean de Tartas, écrivait ceci dans le prologue « Iraccurtçalia » (Au lecteur) de son livre Onsa hilceco bidia (Le chemin pour bien mourir) publié en 1666 :

Je ne sais pas si mon basque, ma langue, sera approuvée, oui ou non, elle a un peu de tout, la Soule, la Basse-Navarre et le Labourd lui ont donné quelque chose, mais pas tout, j’ai fait ma pauvre pièce à Aroue, et si sa langue n’est pas assez belle, c’est le basque de là-bas qui en est fautif et pas les Basques.

En résumé, pour écrire Tartas souligne les limites du parler local d’Aroue en Soule et en conséquence il préfère utiliser les dialectes des trois provinces du Nord (Basse-Navarre, Labourd et Soule). Ici aussi, comme dans le cas de Liçarrague, nous ne dirons pas qu’il cherche un basque unifié, mais du moins au-delà de son parler local souletin un basque plus général.

Arnauld Oihénart (1657)

En 1657, dans la préface de son ouvrage Les proverbes basques recueillis par le Sr d'Oihenart, l’homme de loi et homme politique Arnauld Oihénart nous offre le premier essai d’élaboration d’une orthographe raisonnée de la langue basque. Voici ce qu’il écrivait en français : « Il y a pourtant des Lettres en l'Alphabet Latin, qui font fuperfluès pour la langue ... Celles qui manquent font les diminutiues de D, L, N, S, et T. » Et à partir de telles constatations il présentait de façon détaillée un système orthographique, afin de rendre compte de la diversité phonétique en basque.

Ici, de même, nous ne dirons pas que nous avons un système orthographique unifié du basque, mais dans cette perspective le premier essai argumenté qui essaie de traduire graphiquement la phonétique de cette langue. En Pays Basque Sud, par contre, la production littéraire en basque demeurait faible jusqu’alors et de telles préoccupations linguistiques ne se faisaient pas jour.

3. XVIIIème siècle : Etcheverry de Sare

Le médecin Jean Etcheverry de Sare dans le chapitre « Eskuara guztietan bat da » (La langue basque en tout est une) du manuscrit Laburdiri euskararen hatsapenak (Les débuts de la langue basque au Labourd) écrivait ceci en 1712 :

Prenons maintenant en considération les significations entre les Basques, les déclinaisons des noms, les conjugaisons des verbes, et les façons de parler, nous découvrirons que certaines sont quasi-identiques en Pays Basque, ce qui fait la nature de la langue et son unité (...).

Le basque en lui-même est un, et distinct de n’importe quelle autre langue.

Dans cette citation, au contraire de Lagarrigue, Achular ou Tartas, Jean Etcheverry souligne de son côté l’unité de la langue basque ; l’autre aspect de la langue, ce qu’il appelle son unité (batasuna en basque), les formes et significations identiques dans les différentes parlers et dialectes. Par-delà sa diversité il revendique l’unité et l’unicité de la langue, comme le confirmeront à partir du XIXème siècle les linguistes qui étudieront la langue basque. Peu à peu, le parcours des idées et réflexions qui mèneront au basque unifié actuel nous apparaît.

4. XIXème siècle : Augustin Chaho - Le navarro-labourdin

Augustin Chaho (1845, 1856)

L’auteur que nous évoquerons pour le XIXème siècle est Augustin Chaho (1811-1858). Dans la revue Ariel qu’il publiait, voici ce qu’il écrivait en français, n’acceptant pas l’ « anarchie » qui régnait selon lui dans le basque à l’écrit :

Faute d’Académie régulatrice, nos hommes instruits et le haut clergé, s’ils avaient un peu de patriotisme, devraient bien se concerter pour mettre un terme à l’anarchie qui règne dans une partie de notre littérature (Ariel, n° 20, 16-02-1845).

S’il ne revendiquait pas la nécessité d’un basque unifié, il voyait celle d’une orthographe commune et il en proposa une.

Nous essaierons de prouver que tous les livres basques imprimés jusqu’ici ont une orthographe vicieuse et barbare. Celle que nous proposons est applicable à la variété de tous les dialectes euskariens. (ibid.)

Dans le livret La Guerre des alphabets (1856), il écrivait ceci :

Maintenant que le Navarro-Souletin dise zakitzat à l’impératif, le Labourdin zazkiat, le Guipuzcoan zakizkit, le Biscayen zakidaz, etc. peu importe : la richesse et la variété des dialectes euskariens ne doit changer en rien l’unité et la régularité de l’orthographe nationale.

Si de son vivant Augustin Chaho le précurseur ne connut pas d’académie ou d’orthographe unifiée de la langue basque, ses rêves se conrétiseront un siècle plus tard.

Mais à partir de maintenant, pour raconter les dernières étapes de cette histoire, il vaudra mieux ne pas distinguer les efforts faits au Pays Basque Nord et au Sud car les écrivains et intellectuels basques des deux côtés de la frontière travailleront de plus en plus ensemble.

Le rôle du navarro-labourdin de la fin du XIXème siècle au milieu du XXème siècle

Selon certains bascologues, bien avant le basque unifié actuel, un autre aurait été en vigueur en Pays Basque Nord, en gros de la fin du XIXème siècle à la deuxième guerre mondiale. Cette sorte de standard se lisait dans la revue Euskalduna puis dans Gure Herria, dans les livres du médecin Jean Echepare (Buruxkak, 1910, et Beribilez, 1931) ou dans les documents de l’Eglise. Le dialecte souletin lui restait à part. Mais pour confirmer ceci, le sujet devrait être étudié de façon approfondie. Nous avons des documents, mais pour bien comprendre dans quelle mesure à cette époque une sorte de standard aurait été en vigueur l’apport de linguistes, de sociolinguistes, de spécialistes de littérature, d’historiens serait nécessaire. Un basque unifié ou une forme spécifique de basque ? La seconde plutôt semble-t-il. Quelles étaient ses caractéristiques linguistiques ? Etait-ce ce que Pierre Lafitte appelait le navarro-labourdin littéraire dans sa grammaire de 1944 (Grammaire basque (Navarro-labourdin littéraire) ? Où, quand, comment était-il utilisé ? Pour quelles fonctions, dans quels registres ?

5. XXème siècle : les dernières étapes du parcours

La création de l’Académie de la langue basque (1919) et la quête d’un basque unifié : Pierre Broussain et Arturo Campión (1920)

Aussitôt créée en 1919, l’Académie de la langue basque fit des recherches, des rapports, des réunions autour de l’unification de la langue. Voici à l’article 6 des premiers statuts de cette même année ce qui est écrit :

Elle se mettra à créer un modèle de basque nourri du sang de tous les dialectes, enrichi le plus possible des mots, des déclinaisons et des façons d’écrire, que tous les bascophones utiliseront à l’écriture et la lecture.

Dès le début elle nomma des académiciens originaires des deux côtés de la frontière pour qu’ils travaillent ensemble. Par exemple, à la demande de leurs collègues académiciens, en avril 1920 à Saint-Sébastien (Guipuzcoa), le médecin et homme politique d’Hasparren (Labourd) Pierre Broussain et l’écrivain de Pampelune (Navarre) et homme politique lui aussi Arturo Campión présentèrent leur rapport intitulé Informe de los señores académicos A. Campión y P. Broussain à la Academia de la Lengua Vasca sobre unificación del euskera. Mais dans ce processus d’élaboration d’un basque standard, l’Académie dut faire face longtemps à des forces opposées, tant intérieures qu’extérieures, et jusqu’aux années 1960 les avancées furent modestes dans la voie de cette unification.

Le groupe de travail de Bayonne (1963-1964)

Dans cette perspective, on peut affirmer qu’un pas décisif fut franchi dans les années 1963-1964 à Bayonne (Labourd). Si la naissance du basque unifié est liée aux journées organisées par l’Académie de la langue basque à Arantzazu (Biscaye) en octobre 1968, des réunions eurent lieu auparavant pour en poser les bases et celles de Bayonne en font évidemment partie.

En effet, de l’automne 1963 à l’été 1964, sous la direction du bascologue et politicien José Luis Álvarez Enparanza dit « Txillardegi », pendant huit mois, chaque semaine, huit bascophiles se réunirent pour travailler rue des Cordeliers à Bayonne. Ces audacieux étaient les suivants : Txillardegi et Eneko Irigarai (du mouvement indépendantiste ETA), Jesus Solaun et Telesforo Monzon (du parti nationaliste basque PNV) tous les quatre réfugiés en Pays Basque Nord, Jean-Louis Davant (du mouvement indépendantiste du Pays Basque Nord Enbata) et trois hommes d’église du Nord, Pierre Andiazabal, Roger Idiart et Jean Hiriart-Urruty. D’autres personnes ont pu prendre part occasionnellement au travail.

Il a consisté à faire des propositions simples et précises concernant l’orthographe, les formes verbales et les formes nominales avec le cas suffixé. Le fruit de ce travail de groupe fut présenté au même endroit les 29 et 30 août 1964 à un groupe d’une quarantaine de bascophiles venus de tout le Pays Basque. Et c’est donc en octobre 1968 que Luis Michelena le présenta sous forme d’un rapport à Arantzazu et que l’Académie l’accepta. Auparavant, les propositions furent publiées en 1966 dans un petit livret intitulé Baiona’ko Biltzarraren Erabakiak (Les décisions de l’Assemblée de Bayonne). Voici la revendication qui figure avant les propositions elles-mêmes :

Nous écrivains et enseignants basque réunis à Bayonne, voici les points que l’Assemblé a retenus.

Pour l’unification, nous demandons à tous les bascophiles de commencer à mettre en œuvre ces décisions ; et nous lançons un appel en particulier à l’Académie de la langue basque, pour qu’après avoir examiné ces décisions elle les accepte dans toutes ses implications. »

Heureusement, comme il le lui était demandé, l’Académie examina ces propositions. Que ce serait-il passé si le groupe de Bayonne n’avait pas mis sur la table ces propositions et, évidemment, si quatre ans plus tard par l’intermédiaire de l’académicien Pierre Lafitte, Luis Michelena ne les avait pas amenées au congrès d’Arantzazu ? Comme d’autres, je pense que du temps aurait encore été perdu sur la voie de l’unification. Combien je ne sais pas. Mais sûrement beaucoup et trop.

Le Congrès d’Arantzazu (1968) : l’engagement décisif de l’Académie de la langue basque

Dans le récit de l’histoire du basque unifié, le VIIème Congrès de l’Académie d’octobre 1968 est présenté comme décisif. Et ceci est évident. C’est alors que les propositions de Bayonne furent entérinées, parmi d’autres points. Je cite Luis Michelena :

Je prends comme bases les décisions de l’Assemblée de Bayonne de 1964, en précisant un peu plus la plupart des points (Ortografiaz txostena (rapport A propos de l’orthographe), Arantzazu, 1968).

Et il fut décidé d’aller plus loin. Une dizaine d’années furent prises afin d’évaluer l’accueil fait par la société à ces décisions. En septembre 1978 à Bergara (Guipuzcoa) lors du VIIIème Congrès cette évaluation fut menée à bien et d’autres décisions prises, concernant par exemple l’usage de la lettre h ou l’orthographe des sons mouillés (consonnes palatalisées).

Sur les conséquences des Congrès d’Arantzazu et de Bergara beaucoup de choses ont été dites. Pourtant je pense qu’encore cette période actuelle de la langue basque n’a pas été assez étudiée. Pour notre part ici le dernier travail sera de montrer quelque peu comment le basque unifié a été accueilli en Pays Basque Nord et comment il évolue. Pour être bref et par manque de recul et d’études plus approfondies, je ne donnerai que quelques exemples.

6. L’introduction et l’évolution du basque unifié dans la communauté bascophone du Nord depuis 1968

Oui. Un tel sujet d’étude mériterait des recherches de différents types afin de bien comprendre l’accueil et l’évolution du basque unifié en Pays Basque Nord. Prenons le cas du lexique et de l’orthographe, sans trop rentrer dans les détails.

Le cas du lexique : les échanges par-delà la frontière du Sud vers le basque unifié du Nord

Voici une liste de mots qu’il serait possible d’allonger ; elle contient des noms et des verbes qui ont été pris aux dialectes du Pays Basque Sud. Maintenant, c’est évident, même s’ils sont venus de l’autre partie du Pays Basque, ils font partie du basque unifié, comme ceux du Pays Basque Nord. Ils sont devenus indispensables, car le plus souvent ils n’avaient pas de synonymes dans les dialectes du Nord. Ils ont remplacé les mots que ces dialectes avaient empruntés au latin, au français ou au gascon.

Quelques noms : aldizkari « revue (presse)», antzerki « théâtre (pièce )», antzoki « théâtre (salle) », arduradun « responsable », argazki « photographie », aurrezki « épargne », baserri « campagne », batzorde « commission, comité », egoera « situation, état », egoitza « siège, résidence », egunkari « quotidien (journal) », ekoizpen « production », eleberri « roman, nouvelle » , erakunde « institut », eskubide « droit (loi) », garrantzi « importance », geltoki « gare », giro « ambiance », haurtzaindegi « crèche, garderie pour enfants », hegazkin « avion »…

Quelques verbes : arduratu « s’occuper de », atzerriratu « (s’) exiler », aztertu « examiner », bultzatu « pousser, inciter », erabaki « décider », harpidetu « (s’) abonner », idatzi « écrire », izenpetu « signer », lortu « obtenir », ulertu « comprendre », zapaldu « presser, écraser »…

De tels mots ne sont pas du tout étrangers à un élève de l’ikastola (école immersive en basque) ou un apprenant adulte des cours du soir de l’association AEK. Au contraire, ils sont tout-à-fait communs maintenant. En peu de temps ils ont remplacé les mots empruntés au latin, au gascon et surtout au français, enrichissant le basque du Pays Basque Nord. Voilà un des aspects très positifs de la révolution du basque unifié. Rapidement le basque s’est adapté aux besoins linguistiques de la vie moderne, pour que le bascophone puisse vivre en basque dans tous les domaines et actions de tous les jours (éducation, administration, loisirs, travail, moyens de communication, nouvelles technologies…). Bien sûr, l’usage de la langue basque en Pays Basque Nord est un autre sujet d’étude. Néanmoins, nous pouvons dire que le bascophone d’aujourd’hui a une langue bien équipée pour pouvoir vivre en basque.

Du Pays Basque Nord vers le basque unifié

Mais les mots ont aussi voyagé dans l’autre sens. C’est dans le lexique que l’apport des dialectes du Nord au basque unifié est le plus évident.

Dans le dictionnaire que l’Académie a publié en 2016, Euskaltzaindiaren Hiztegia (Le Dictionnaire de l’Académie de langue basque, 2ème édition), on compte 2 743 entrées suivies de l’abréviation Ipar. (Iparraldea, Pays Basque Nord). Il faut y rajouter 56 entrées avec Lap. (lapurtera, labourdin), 47 suivies de BNaf. (behe-nafarrera, bas-navarrais) et 357 de Zub. (zuberera, souletin). Donc sur un total de 38 878 entrées (plus 7 302 sous-entrées), 3 203 sont issues des dialectes du Nord ; soit 8,24 % des entrées. Ceci signifie que si autrefois ces mots n’étaient pas utilisés dans les dialectes du Sud, ils font maintenant partie du lexique du basque unifié. Et ils rentrent de plus en plus dans le vocabulaire des Basques du Sud. Ils enrichissent le basque commun, augmentant le lexique du basque unifié.

L’unification de l’orthographe de la langue basque

Parmi les conséquences du congrès d’Arantzazu, on peut citer aussi pour le Pays Basque Nord l’évolution et la fixation de l’orthographe du basque. Peu à peu mais assez rapidement, les écrivain(e)s du Nord s’approprièrent et utilisèrent l’orthographe unifiée. Dans l’enseignement également l’Education nationale et les enseignants se mirent à l’utiliser, plus ou moins. Voici quelques exemples des nouvelles habitudes :

ch > x La plupart des écrivains du Nord qui utilisaient jusqu’alors la graphie française ch  pour transcrire la consonne fricative palatale l’abandonnèrent pour x : etxe « maison » au lieu de *etche, etxeak « les maisons’ au lieu de *etcheak.

ph, th, kh > p, t, k Les consonnes occlusives aspirées prononcées dans le Nord, surtout en Soule, orthographiées jusque-là  ph, th et kh, commencèrent à être écrite p, t, k : apeza « le curé » au lieu de *apheza, beti « toujours » au lieu de *bethi, ikusi « voir » au lieu de *ikhusi.

La lettre h fut enlevée pour certains mots *hainitz « beaucoup » devint à l’écrit ainitz ou anitz. Mais il était plus difficile d’enlever h à l’intérieur du mot. Le mot écrit eri a maintenant deux sens : « doigt » qui s’écrivait auparavant *erhi et eri « malade » qui s’écrivait sans h. Nous avons donc maintenant deux homonymes, deux homographes, qui sont distingués en l’oral. Bien sûr, le plus souvent le contexte permet de lever l’ambiguïté. Plus généralement, une orthographe ne peut pas rendre précisément la diversité de la prononciation d’une langue. Ceci est le rôle de l’alphabet phonétique international. L’orthographe unifiée est également utilisée de plus en plus pour écrire les dialectes du Nord. Le cas le plus significatif est celui du souletin. L’orthographe est celle du basque unifié mais on y utilise en plus ü qui permet de transcrire le son [y], très peu ou pas connu dans les autres formes de basque.

Pour terminer cette partie, je voudrais souligner combien la fixation de l’orthographe a été un grand pas pour la langue basque ou mieux pour les bascophones. L’orthographe n’est pas encore fixée dans ses moindres détails ; il reste quelques petits points en suspens. Mais d’une façon générale, maintenant, nous pouvons affirmer que le rêve d’Augustin Chaho s’est réalisé (voir plus haut). L’orthographe que nous avons est tout-à-fait adaptée ; elle est facile à apprendre et à enseigner. Si nous la comparons à celle du français, elle est beaucoup plus simple. Beaucoup plus proche de la prononciation également.

Un basque unifié spécifique au Pays Basque Nord

Le basque unifié est une chose complexe, il est diversifié et changeant, comme beaucoup de phénomènes sociaux. Comme toutes les langues standardisées, le basque unifié n’est pas monolithique, à l’écrit et encore moins à l’oral. Et en ce qui concerne le Pays Basque Nord, j’observe qu’une forme spécifique de standard se développe, sous l’influence du français (il n’y a plus de bascophones monolingues) et des dialectes du Nord.             

D’une façon générale, lorsque ce basque est écrit, les règles de l’Académie de la langue basque sont appliquées, en utilisant l’orthographe, les mots nouveaux et les formes verbales normalisées. Mais en conservant les mots et expressions du Nord. Cette influence se repère plus dans la phonétique et la prosodie (intonation, accent…), celle du français et des dialectes pour ceux qui en connaissent, et ceci, évidemment, en fonction du locuteur. Ce basque est donc plus unifié à l’écrit qu’à l’oral. Enfin, répétons-le, ce basque unifié du Nord n’est pas normalisé, il n’est pas uniforme. Chaque locuteur a le sien, c’est ce qu’on appelle son idiolecte, qu’il module au moment de parler en fonction de son interlocuteur.

En guise de conclusion

Comme nous venons de le voir, le Pays Basque Nord a pris part à la naissance et au développement du basque unifié. A l’heure actuelle, de plus en plus, sous l’effet des échanges réels et virtuels entre Basques, le basque unifié évolue et s’enrichit grâce aux apports venus des deux côtés de la frontière. Mais avec des nuances et spécificités locales.

Qu’on le veuille ou non, pour vivre dans la société moderne occidentale, les bascophones ont besoin d’une langue standardisée. Et ceci ne s’est pas fait en rejetant les dialectes. Au contraire. Mais pour vivre, les dialectes et parlers locaux devront eux aussi conserver ou trouver de nouvelles fonctions et domaines d’usage. Qu’on le veuille ou pas, pour vivre en basque des registres divers seront nécessaires (le basque unifié, le dialecte s’il y en a un sur le territoire considéré, le parler local, celui de la maison, celui avec les ami(e)s, etc.), des registres formels et des registres informels... car, par exemple, on n’utilise pas la même forme de langue pour écrire à sa fille et au maire de sa commune.

Jean-Baptiste Coyos
Académicien titulaire
19-12-2019

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