Dans une histoire de la littérature basque contemporaine écrite d’un point de vue du Pays Basque Sud, les écrivains originaires du nord ne sont que rarement mentionnés, sauf exception. Au sud, ces dernières décennies, un système littéraire s’est mis en place, qui a permis la constitution d’un marché du livre et la professionnalisation du métier d’auteur. On peut dire que, tout comme la création issue du nord, la poésie aussi est passée à la trappe. En règle générale, une certaine invisibilité et une inaudibilité se sont installées, concernant le domaine de la production littéraire du Pays Basque Nord.
Pourtant, il y a une vie littéraire, des écrivains nouveaux surgissent, avec une féminisation évidente des effectifs, qui sont fondamentalement influencés par la conception (post)-moderne de la littérature. Elle a quitté les cercles intellectuels des notables et des curés, en devenant une pratique laïque, d’enseignants et de journalistes appartenant à la classe moyenne, conforme en cela à la tradition de la classe des clercs.
Les premiers pas pour devenir écrivains s’accomplissaient dans divers hebdomadaires et mensuels, d’Eskualduna à Herria. Les possibilités se sont multipliées, ainsi que bourses et prix littéraires, puisqu’on peut actuellement accéder à la popularité en utilisant les moyens contemporains de communication, en alimentant des blogs par exemple. L’association Maiatz, la revue et la maison d’édition, rassemble principalement les écrivains du Pays Basque Nord, somme de trajectoires personnelles, lien entre passé et présent, signant une rupture culturelle qui s’est produite durant les années 80.
Nous nous intéresserons à la production littéraire du Pays Basque Nord, en partant des auteurs emblématiques de l’après-guerre, en soulignant les changements qui ont profondément modifié sa structure jusqu’à la situation actuelle. La littérature basque publiée de ce côté-ci de la frontière, clairement, avance à l’ombre de qui se fait sur l’autre versant, sans renier sa propre identité. Son identité et sa langue bien entendu. Enfin, l’écrivain du Pays Basque Nord a intériorisé les schémas culturels français et européens, tout comme l’auteur du sud a intégré ceux induits par la culture hispanique.
On ne peut pas oublier que le premier livre « commis », le prêtre et académicien Pierres Lafitte utilisait ce mot, en basque le fut par Bernat Etxepare, curé de Saint Michel-le-Vieux (Basse-Navarre) en 1545, ouvrant ainsi la boite de Pandore littéraire. C’est donc une longue histoire et un trésor lexical pour les auteurs du sud. C’est cela, et bien plus encore.
Au croisement du XIXème et du XXème siècle, les pratiques littéraires en Pays Basque Nord étaient très vivaces : Jean Etxepare (1877-1935), Elizalde (1883-1961) Hiriart-Urruty (1850-1915) et Zaldubi (1828-1907) principalement, alimentaient les colonnes de l’hebdomadaire Euskalduna (1887-1944), pour la plus grande joie des bascophones. Narrateurs incomparables, ils accomplissaient aussi un travail de journalistes, surtout au moment de la guerre de 14-18, en direct des tranchées. Au cours des quatre ans que dura le premier conflit mondial le journal avait un tirage de plus de dix mille exemplaires et était lu par au moins trois personnes par foyer.
Parmi ces écrivains, le plus connu et le plus original fut sans aucun doute Jean Etxepare, médecin des Aldudes. Buruxkak (1910, Les épis) et Beribilez (1931, En voiture) sont deux œuvres qui bousculent la tradition : il ciselle la nouvelle dans la première, tandis que dans la seconde, il raconte un voyage en voiture entre Cambo-les-Bains en Labourd et Loyola, en Guipúzcoa, via Pampelune. Le récit « Sur l’amour » de Buruxkak, écrit sur le ton et le modèle du Banquet de Platon, disparut des éditions postérieures dirigées par l’abbé Piarres Lafitte (1901-1985), cité plus haut.
Un autre Jean Etxepare s’est attelé à la fiction, peut-être le seul. Né à Jatsou en 1937, il mourût jeune, en 1961 à Hasparren. Inazio Mugika Iraola rééditera son recueil Mendekosteko Gereziak (1991, Les cerises de Pentecôte, Erein), accompagné d’une préface brillante. Dans ce livre, l’auteur raconte d’une manière sensible, ultime élégie lancinante, les échos de la guerre d’Algérie, la fin du monde rural, l’urbanisation et l’exode des enfants de paysans. Pierre Charriton, en 1963 rassembla ses textes après sa mort, sous forme de livre accessible aux lecteurs.
On ne peut pas ne pas en parler : Jon Mirande (1925-1972) écrivit à Paris, surtout son Haur Besotakoa (1970, La filleule) publié par l’éditeur Lur avec une introduction de Gabriel Aresti, chantre de la poésie sociale. On étudie toujours ce roman inspiré du Lolita (1955) de Nabokov. Comme beaucoup, Jon Mirande débuta sa carrière d’écrivain dans les pages de l’hebdomadaire Herria. En 1962, il participa à la rédaction de la revue satirique Igela (La grenouille) en compagnie de Txomin Peillen (1932).
Herria, lancé sur les cendres d’Eskualduna, accusé en 1944 de collaborationnisme à la fin de la seconde guerre mondiale, fonctionna comme un laboratoire pour les écrivains en herbe, sous la direction de Piarres Lafitte. Il est intéressant de constater la soif de lire des Basques, de la Soule à la Côte, alors qu’ils étaient supposés analphabètes, ne sachant que peu de français. Lafitte, enseignant au séminaire d’Ustaritz pendant un demi-siècle, peut être considéré comme l’éminence grise de la littérature en basque du Pays Basque Nord : tout ce qui s’écrivait en basque passait par son regard acéré pour être commenté.
Après la seconde guerre mondiale, plus que la littérature, le théâtre et le bertsolarisme (improvisation chantée) ont été des pratiques populaires. Les promoteurs culturels en basque recherchaient la proximité du public, sur les places des villages et les salles construites à l’initiative de l’association Eskualdun Gazteria (La jeunesse basque). Chaque village avait sa troupe de théâtre, formée de villageois, autant acteurs que directeurs. Souvent, le curé de la paroisse dirigeait ces formations. Tout le monde accourait aux représentations, l’après-midi de Pâques, applaudir en foule ses concitoyens, stars d’un jour.
Piarres Larzabal (1915-1988), Teleforo de Monzon (1904-1981) et plus tard Daniel Landart (1947) produisaient des œuvres au goût de la majorité des Basques. Ils portaient sur scène les problèmes sociaux-culturels du moment, et surtout, utilisaient l’humour pour pimenter leurs trames tragiques. Les pièces Bordaxuri de Larzabal, Hazparneko Anderea (La dame d’Hasparren) de Monzon ou bien Hil Biziak (Les morts vivants), Ama (La mère) ou Noiz (Quand ?) de Landart ont fait bouger le public, bousculant les esprits et les sensations. Etxahun Iruri (Pierre Bordaçarre 1908-1979) en Soule, renouvelait le registre de la Pastorale, enracinant le corps du spectacle dans l’Histoire locale, présentant une biographie du barde Etxahun de Barcus ou la tragédie de Bereterretxe (chant du XVème siècle) durant quatre heures, tandis que tous les rôles étaient alors tenus par des hommes.
L’autre secteur de la culture basque et en basque qui bénéficiait de l’amour du public était sans aucun doute le bertsolarisme : Xalbador (1920-1976) et Mattin (1916-1981) ont enchanté les spectateurs, la mélancolie de l’un contrebalançant la truculente ironie de l’autre. On se rappelle également de Xanpun (1922-2006), Alkat (1951-2008), Mendiburu (1946), Arrosagarai (1949-1998) ou Ezponda (1937). Ils animaient les fêtes et les repas populaires, distillant réflexions et propos débridés. A la même époque, la chanson basque connut un regain de jeunesse : Etxahun Iruri en Soule, Michel Labéguerie (1921-1980) en Labourd, Manex Pagola (1941-2018) et Eñaut Etxamendi (1935) en Basse-Navarre, mettaient en musique la gravité de la situation du Pays Basque intérieur. Qui nous touche encore.
La place publique, semble-t-il, était fermée aux femmes au cours de cette période d’effervescence culturelle. Il y avait pourtant des improvisatrices ; mais dans son recueil Literaturaz (De la littérature), bizarrement, Piarres Lafitte ne se souvient d’aucun nom. On retrouve la figure d’Aña Deabrua (Anne La diablesse, Maiana Etxegarai, 1887-1935) qui est restée dans les mémoires parce qu’elle fut l’auteure du célèbre Oraiko dama gaztiak (Les jeunes dames d’aujourd’hui). Le plus souvent, lors de joutes mémorables, elle improvisait en compagnie de Maiana Hargain (1860-1925) originaire de Cambo. Il y a là une mémoire à récupérer…
Autour de Gabriel Aresti, Ramon Saizarbitoria (1944) ou d’Arantxa Urretabizkaia (1947) des éditions Lur (Terre) le panorama littéraire du Pays Basque Sud changea radicalement. Ils publièrent des textes dans la ligne des courants européens, tel le nouveau roman français, après l’explosion de mai 1968, en abordant des thèmes qui traversaient la société basque. Ainsi l’avortement clandestin dans Egunero hasten delako (Cela commence tous les jours, 1969) et l’ambiguïté de la lutte armée de l’ETA dans Ehun metro (Cent mètres, 1976) écrits par Saizarbitoria. En Pays Basque Nord, le recueil de poèmes Hogei urte (Vingt ans, 1968) connut un réel succès puisque Anje Duhalde et Michel Ducau, le duo Errobi, y puisèrent abondamment pour composer leurs chansons. La littérature était plus faite pour être chantée que pour être consommée dans l’intimité de la lecture. Peio et Pantxoa, Etxamendi et Larralde a capella, Beñat Axiari ou encore le souletin Niko Etxart mirent en musique de nombreux auteurs basques.
Les écrivains continuaient à publier leurs poèmes et leurs articles dans Herria. Auxtin Zamora (1943) débuta de cette façon, de même que Luzien Etxezaharreta (1947), Itxaro Borda (1959) entre autres. Les chercheurs, quant à eux, donnaient leurs textes aux revues Gure Herria, disparue en 1976, ou au Bulletin du Musée Basque. Mais, au tournant des années 70, des écrits politiques abertzale (nationaliste basque) fleurissaient sur les pages des journaux tels que Enbata, Hitz, Zabal, Euskalduna, Gernika, un peu plus tard Herriz Herri. On assistait à la naissance des éditions Elkar et de la librairie Zabal à Bayonne au 52 rue Pannecau. La production littéraire du Pays Basque Sud était désormais accessible au public du nord (Txillardegi, Atxaga, La Bande Pott, Sarrionandia…). Certains lisaient tout ce qui se publiait et la foire du livre de Durango (depuis 1965) grandissait à vue d’œil. De plus, à partir de 1968, la langue basque se lançait dans un mouvement d’unification, entre enthousiasme et critiques, selon l’idéologie des émetteurs d’opinions.
Pourtant la littérature pure n’avait pas bonne presse. Pour les ecclésiastiques, elle n’avait aucune valeur, sinon pédagogique. Il fallait trouver dans un roman, quelque chose de fondamental et correspondant à la morale ambiante. Le terrain littéraire était occupé par les hommes : la figure de l’écrivain était masculine, elle l’est toujours, et on lui demandait d’écrire, pour éduquer, éclairer, faire réfléchir les couches populaires. Piarres Lafitte, directeur de Herria, contrôlait de près la conformité du contenu d’un ouvrage, chaque fois qu’il rédigeait un billet critique. Citons quelques auteures malgré tout, des pionnières : Maddi Ariztia (1887-1927) de Sare, Maialen de Jauregiberri (1873-1939) d’Alos et Marijane Minaberri (1926-2017) de Banca, qui signait ses articles du pseudonyme Andereño (Mademoiselle) ou Atalki (du nom de sa maison d’Ustaritz) dans les colonnes de Herria.
La fiction, en Pays Basque Nord, n’intéressait presque personne, sinon dans des œuvres à destination des enfants, inspirée des fables d’Esope à Otsobi (1888-1958). En 1965, Marijane Minaberri publiait Xoria Kantari (L’oiseau chante) pour le jeune public, chez Ikas, en s’éloignant de ces modèles et donnant libre cours à son imagination. Ajoutons, pour compléter le tableau que Manex Erdozaintzi-Etxart (1934-1984) fut dans les années soixante, le seul collaborateur, originaire du Pays Basque Nord, de la revue Jakin. Il publia en 1982, chez Elkar, un roman Gauaren Atzekaldean (De l’autre côté de la nuit) qui mélangeait fiction et situation réelle du Pays Basque à cette époque.
L’accession au pouvoir en 1981 d’un président socialiste, pour la première fois en Pays Basque Nord (et en France), a changé le contexte général socio-politico-culturel. Les radios libres furent légalisées durant le mandat de Mitterrand et la culture devint une priorité collective. Il y avait des problèmes bien sûr, surtout ici, concernant la gestion des réfugiés politiques basques, mais les façons de vivre changèrent et une génération qui pensait que tout était possible surgit, y compris dans le domaine de la littérature en basque. C’est dans ce contexte euphorique que naquit Maiatz, sous la direction de Luzien Etxezaharreta, entouré d’une trentaine d’écrivains, bien décidés à mener l’idée de création d’une revue à son terme.
Aurelia Arkotxa, Marikita Tambourin, Auxtin Zamora, Txomin Peillen, Manex Erdozaintzi-Etxart, Emilio Lopez Adam, Eñaut Etxamendi, Mayi Pelot, Itxaro Borda, Piarres Xarriton principalement, participèrent aux premières réunions, alliant histoires personnelles, rêves et pratiques d’écritures disparates, mais tous impliqués dans la réalisation du projet. Le premier numéro parut en février 1982, avec un avis au lecteur, en écho aux livres anciens, dans lequel le groupe souligne que la littérature se vit au croisement de la vie et de la réalité. La couverture était noire et la publication devint un laboratoire ouvert à la création, la traduction et la littérature pure. Ce qu’elle est encore, au bout d’un parcours de quarante ans, de deux numéros par an, de présence publique.
En 1984, deux livres marquaient le début des éditions Maiatz : Concierto Guerrilero de Marc Légasse (1918-1997) et Bizitza Nola Badoan d’Itxaro Borda. Depuis, plus de cent titres, ont aiguisé la sagacité des lecteurs. La série Elebi fut mise en place, pour proposer des traductions du basque au français, ou des langues voisines au basque, ouvrages bilingues. Tandis que dans la collection Zehar on peut trouver des textes politiques de Jean-Louis Davant, ceux sur les cagots de Marikita Tanbourin (1946) et d’Emilio Lopez Adan Beltza (1946) sur l’histoire de la lutte armée de l’ETA.
Pour les écrivains rassemblés sous la bannière de Maiatz, la réalisation matérielle de la revue, la distribution, les tables de ventes, les conférences de presse posent les jalons d’une certaine vie littéraire : ils voyaient leurs textes, écrits dans la solitude parvenir à capter l’attention des lecteurs, socialisés de la même manière que la musique ou la chanson. De plus, Maiatz organise, chaque année depuis 1984 dans l’antre du bar Biltxoko à Bayonne d’abord, puis au Musée Basque, Les Entretiens de Maiatz, dans le but de mettre en avant la littérature en basque, présenter les dernières nouveautés, conduire des débats et inviter des écrivains à parler de leur art.
Une nouvelle génération d’écrivains a vu le jour en Pays Basque Nord, grâce à l’association Maiatz, qui participe toujours à la fête de la littérature globale sur ce territoire. Deux auteurs ont obtenu le Prix Euskadi : Itxaro Borda en 2002 pour 100% Basque et Ur Apalategi en 2006 pour Fikzioaren Ixterrak (Tranches de fiction), tous deux publiés chez Susa. De nombreux auteurs envoient leurs chroniques aux quotidiens tels que Euskaldunon Egunkaria (1990-2003), Berria, Gara ou l’hebdomadaire Argia, au même titre que les écrivains du sud. Les maisons d’éditions (Gatuzain, Maiatz, Elkar), les activités médiatiques, les foires aux livres (Sare, chaque lundi de Pâques, Cambo en septembre…), les aides à l’écriture dispensée par l’Institut culturel basque ou l’Office public de la langue basque permettent aux écrivains d’exister en acteurs culturels. La traduction, globalement, semble être le point noir de ce système : on ressent un manque d’intérêt à son encontre, une peur et une interrogation existentielle sur son but réel, dans le contexte agonique et diglossique du basque contemporain.
Non seulement les écrivains se sont multipliés, mais aussi les thèmes abordés et les modes de création utilisés. Manex Lanatua, Txomin Hegi, Jakes Ahamendaburu, Auxtin Zamora, Kepa Akixo ou Xabier Soubelet ont choisi le terrain de la poésie, Mattin Irigoien et Pantxoa Irigarai celui du théâtre, Luzien Etxezaharreta, Mikel Dupak, Antton Luku, Éric Traormilin et Mailux Legorburu celui de la narration, Mikel Hiribarren et Nine Goihenetxe ont produits des recueils d’articles, Mixel Tikoipe et Koldo Ameztoi des contes populaires, Pierre Mestrot s’inscrit dans la ligne des romans policiers, Ur Apalategi proposa ses premiers textes à Maiatz, Piarres Aintziart, en 1989 refit le trajet de Jean Etxepare, en vélo. La plupart d’entre eux n’auront écrit qu’un seul livre, mais des gens comme Jean-Louis Davant poursuivent chez Maiatz leur carrière d’écrivains commencée au début des années 60. C’est le cas aussi d’Itxaro Borda, auteure de nombreux poèmes, romans et essais.
Trois auteurs emblématiques sont à mettre en évidence : Mayi Pelot (1947-2016) d’abord, qui fut le premier auteur de science-fiction en basque, en publiant deux livres, dont Biharko oroitzapenak (Souvenirs de demain, 1985) et Teleamarauna (Télé-araignée, 1987). Son nom gagne en prestige puisque les membres de l’association Sareinak prévoient de lui rendre hommage en 2019 dans le local de Zizpa à Bayonne ; puis, entremêlant poésie, narrations et art contemporain, le cibourien Éric Dicharry conduit une réflexion continue autour de ces trois axes ; Eñaut Etxamendi enfin, dont Maiatz a mis à disposition des lecteurs, en cinq volumes, la somme de ses articles, récits, micro-romans et la richesse de ses chansons, créés durant sa longue vie.
Les écrivains qui ont fourbi leurs armes autour de Maiatz ont pu par la suite publier dans des maisons d’éditions du sud, tels que Elkar, Pamiela, Susa ou Alberdania. Quelques auteurs du Pays Basque Sud se tournent eux aussi vers Maiatz pour éditer leurs livres : Amaia Lasa, Ainara Maia, Juanma Sarasola, Pablo Sastre, Josu Jimenez et Patri Urkizu. Le courant des lettres passe d’un côté à l’autre de la frontière.
Une vie littéraire se déroule bien sûr en Pays Basque Nord, au-delà de Maiatz. Les pratiques, on l’a dit, se sont diversifiées autant que les modes d’accès au lectorat. Mais les écrits traditionnels sont mieux perçus que les tentatives de créations expérimentales. Les souvenirs d’enfance et les autobiographies sincères demeurent très prisés. La méfiance envers la fiction perdure. Ainsi, les ouvrages de Daniel Landart comme Aihen Ahula (Vigne faible, 1987) ou les souvenirs de guerre d’Algérie de Jean-Louis Davant ou de Xipri Arbelbide parviennent plus aisément à nourrir l’intérêt du public que n’importe quelle autofiction intimiste.
Bien qu’en chute libre sur le marché du livre en basque, c’est la poésie qui domine le panorama littéraire de notre région, fidèle en cela à la voie ouverte par Bernat Etxepare en 1545 avec Linguae Vasconum Primitiae. Aurelia Arkotxa (1953) et Jon Casenave (1957) ont investi le domaine poétique, sous l’influence du poète écossais Keneth White (1936). D’Atari Ahantziak (Pamiela,1993, Portails oubliés) à Septentrio (Alberdania, 2001, Septentrio), l’œuvre d’Aurelia Arkotxa nous guide des rivages marins d’Hendaye aux neiges de Terre-Neuve sur les traces des marins labourdins des XVème-XVIème siècles. Le professeur Jon Casenave dans son Ordu alferren segida (Elkar, 1985, Suite d’heures vaines) nous invite à goûter aux matins d’hivers glacés, à méditer sur la nature humaine, alors que la majorité des poètes basques produit de la poésie sociale ou surréaliste.
Les auteurs estampillés Maiatz avancent en âge et une nouvelle vague apparait, qui veut à son tour, repousser les limites et bousculer les codes de la création en euskara. Un bémol cependant : le mouvement culturel basque s’est développé, renforcé, diversifié, mais pèche par l’absence d’un lectorat fort, puisque peu de fans de littérature sont sortis des ikastola (écoles immersives en langue basque). Les élèves apprennent la langue, et cela parait suffire. D’autant plus que personne ne forcera les Basques à lire des œuvres dont ils ne partagent pas les visions (politiques, culturelles), même en invoquant le militantisme. On l’entend de plus en plus. A raison bien sûr. Le risque, c’est que l’auteur se mette à croire qu’il n’est pas lu parce qu’il est un mauvais écrivain. Ce qui n’est pas le cas.
On a cru, avec le développement des ikastola, que des jeunes bascophones, certains d’entre eux du moins, deviendraient plus facilement écrivains que les anciens autodidactes. Mais cela ne s’est pas mécaniquement passé ainsi, parce la connaissance d’une langue ne produit pas forcément un écrivain, ni le fait d’écrire des articles ou des textes politiques. Des auteurs des années 60-70 côtoyaient des écrivains juste débutants dans les rangs de la revue Maiatz. Mais les temps ont changé et le fossé entre générations s’est creusé. En règle générale, bien que bascophones, les jeunes demeurent éloignés de la littérature basque, plus sensibles qu’ils sont aux productions audio-visuelles offertes en euskara : radio, programmes télé, pièces de théâtres, improvisations, chansons, cinéma…
Voyant qu’aucun auteur ne se révélait spontanément, et pour combler ce vide, les éditions Elkar et la fondation Elkar, associées à l’Institut culturel basque, ont mis en place la bourse Gazte Luma (Jeune Plume) afin de susciter des vocations. Organisée tous les deux ans, elle est dotée d’un prix de trois mille euros, ouverte aux jeunes de moins de quarante ans. L’utilisation du basque du nord (!) est privilégié. En 2002 un premier lauréat fut désigné : le roman Anbroxio d’Eneko Bidegain. Depuis, sept ouvrages ont été primés, sauf en 2008, faute de candidats. Les livres sont ensuite publiés par Elkar, ce qui permet aux auteurs de profiter de l’infrastructure d’une grande maison d’éditions. Ces sont des œuvres originales, proposées par des auteurs qui travaillent dans le monde journalistique ou éducatif, parfois les deux. On espère, qu’après ce premier pas, ils poursuivront leur route en publiant des ouvrages de fiction en basque.
On se rend compte, en consultant les listes, qu’en basque on a affaire à des auteurs d’un seul livre, ou deux. Quiconque a publié cinq livres est déjà un écrivain prolixe. Les jeunes qui ont obtenu le prix Gazte Luma en sont encore à leur coup d’essai, tout en demeurant dans le monde de la littérature, en donnant des conférences ou en participant à des tables rondes. Dans le fond, on en revient toujours à ce point, un écrivain peut surgir de nulle part… mais il est vrai qu’écrire en basque ne permet pas de vivre économiquement et n’apporte qu’un prestige relatif : c’est un travail solitaire et difficile, et la fiction, un domaine plein d’ambiguïté, qui peut se confronter aux limites idéologiques du nationalisme. Malgré tout, grâce à cette aide financière, des talents nouveaux ont fleuri.
La bourse Gazte Luma, la revue Maiatz, les maisons d’éditions du nord et du sud sont là pour aider les jeunes auteurs à grandir (et à gagner quelques sous par la même occasion). On écrit beaucoup en Pays Basque Nord. Il y a un semblant de bouillonnement culturel, un mouvement lent qui porte la littérature, de tables rondes en rencontres avec des clubs de lecteurs dans les médiathèques, via des actions poétiques quasi confidentielles. Loin de toute massification, il y a toujours quelqu’un quelque part qui s’intéresse à la question. Les générations se renouvellent et génèrent un nouveau public.
Gazte Luma, en plus d’Eneko Bidegain dont nous avons déjà mentionné l’œuvre, a permis de faire connaître Nora Arbelbide avec Goizeko Zazpiak (Sept heures du matin), Ramuntxo Etxeberri avec Skyroom, Katixa Dolhare et son Biribilgunea (Le rond-point), Beatrice Ruspil avec Gizaki bakartiak (Êtres solitaires), Peio Jorajuria et Jaun Martin (Monsieur Martin), Eneritz Zelaia avec Galtzen bagara zer ? (Et quoi si nous nous perdons ?) et Maialen Hegi-Lucu, lauréate 2018, avec le roman Girgileri Anderea (Madame l’insignifiante). Ces romans réussissent à plonger la littérature du nord dans les flots des courants du sud, poursuivant en cela une tradition séculaire. On peut dire que les thématiques sont identiques des deux côtés de la frontière : la condition des femmes, la maladie (ici la bipolarité), l’intimité, la solitude sociale, les difficultés économiques ! En même temps, la situation du Pays Basque Nord apparait dans ces pages, ici et maintenant, à vif et à nue.
Dernièrement, deux auteures se sont mises en avant dans le panorama littéraire en euskara. D’abord, Bea Salaberri (1979, Saint-Esteben), enseignante aux cours du soir d’AEK, tenait un blog à succès avant de faire paraître aux éditions Susa ses narrations courtes et percutantes, sous le titre Baionak ez daki (2015, Bayonne ne sait pas). De même, Maddi Zubeldia (1961, Saint-Sébastien) a publié chez Elkar un livre de souvenirs intitulé Deserria haurtzaro (2017, Une enfance d’exil). Eneko Bidegain (1975), Katixa Dolhare-Zaldunbide (1982), Bea Salaberri et Maddi Zubeldia rédigent aussi des chroniques pour les périodiques Argia, Berria et autres médias, devenant ainsi des producteurs d’opinions. Compilés, les articles, bien souvent, finissent en livres.
Il y a une certaine continuité dans le système littéraire du Pays Basque Nord. En réalisant une photo instantanée, on noterait que les générations cohabitent, les fractures et les expériences étant multiples. Les écrivains ont à leur disposition une langue unifiée depuis plus de cent ans, porteuse d’une longue histoire, s’adaptant facilement aux prescriptions de l’Académie de la langue basque effectives depuis 1968, proche des lecteurs et de leurs usages linguistiques. De plus, les écrivains sont multilingues, des laïques passés par les universités, socialement et parfois politiquement impliqués, des femmes et des hommes sans complexes.
La vision de la littérature en Pays Basque Nord ne serait pas complète si on ne mentionnait pas ici, la production en français et en occitan. Le secteur de l’édition semble en bonne santé. Des centaines de maison d’éditions se rassemblent à l’occasion de foires du livre, à Sare, à Cambo ou ailleurs sur le territoire. Certains ont des noms basques et publient en français, d’autres ont des noms en français et peuvent aussi publier des ouvrages en euskara. Les livres traitent l’histoire locale, les biographies, quelques autofictions, un peu de poésie, et ce qui est actuellement à la mode, le roman noir. On a ouvert les vannes, et la terre basque (gastronomie et surf) est devenue le théâtre de crimes terribles et d’enquêtes déjantées.
Il y a toujours eu des écrivains francophones en Pays Basque Nord, qui vivaient ici ou à Paris, au plus près du succès. En France, on colle le qualificatif de provincial à l’auteur qui reste sur place, tandis que celui qui réside à Paris est considéré comme un créateur universel. Sont ainsi devenus célèbres, Roland Barthes (1915-1980), Francis Marmande (1945), Frederic Arribit (1972), Xabi Molia (1977) et Marie Darrieusecq (1969) nos contemporains. De même, nombreux sont ceux qui sont venus s’installer entre Bidassoa et Adour, tels que Pierre Loti (1850-1923) ou Edmond Rostand (1868-1918) pour ne citer qu’eux, et le médiatique Frédéric Beigbeder (1965) il y a peu.
Deux romans de Marie Darrieusecq, originaire de Bassussarry, ont été traduits en euskara, Tom est mort (2007) et Truismes (1996). Dans son incroyable Bref séjour chez les vivants (2001) on sent, derrière les mots, le parfum du Pays Basque, la tension de l’air, les montagnes, les forêts, la mer, bien que les lieux ne soient jamais nommés. Entre Marguerite Duras et Françoise Sagan, livres après livres, elle construit une belle œuvre. On la voit à Bayonne, de temps en temps, rencontrer simplement ses lecteurs, pour nous dévoiler les secrets de sa création littéraire. Marie Cosnay (1965) quant à elle, habite sur la Côte basque. Enseignante, sa réputation grandit sans avoir besoin de passer par Paris. Elle écrit en français, et vient d’offrir une traduction des Métamorphoses d’Ovide, très estimée par les spécialistes de l’Antiquité. La famille, la question de la langue et la situation des migrants sont ses thèmes de prédilection.
N’oublions pas nos voisins gascons et béarnais. Luzien Etxezaharreta, traduisit en basque le poème occitan Gernika, du grand poète Bernat Manciet (1923-2005), natif de Sabres dans les Landes, pour le publier dans la revue Maiatz. De son côté, Éric Gonzales (1964) publiait en 1999 et en occitan Arantxa, un roman qui se déroulait entre Béarn et Pays Basque. Sergi Javaloyes (1951) enfin, a rendu hommage au fleuve Adour dans son long poème Sorrom Borrom (2010) et Viral (2017) son ultime roman raconte, en partie et en français, sur un mode fictif, sa relation à la situation politique basque.
Nous avons effectué un rapide survol de la création littéraire en Pays Basque Nord. On pourrait parler encore plus précisément des auteurs et de leurs œuvres, mais impossible dans l’espace étroit qui nous est imparti. Les pratiques, les goûts, les techniques et les évolutions personnelles ont été diverses et variés. Le lecteur qui voudrait approfondir la question peut se tourner vers le trésor accumulé par la revue Maiatz et admirer les vitrines des librairies basques ou généralistes. Les textes sont là, les articles, les essais, les poèmes, épars. Les maisons d’éditions Elkar, Susa, Alberdania, Gatuzain et Pamiela, autant que la presse bascophone, proposent également les ouvrages et les articles des écrivains cités dans cette courte recension.
Ecrire en Pays Basque Nord signifie créer sous l’influence des courants culturels européens autant que celui de la tradition historique locale. Il en a toujours été ainsi : le premier livre en basque publié en 1545 reflète la réalité socio-culturelle de l’époque en ce qui concerne la thématique, le contenu et le ton des poèmes en vers et surtout l’utilisation des moyens techniques en vue de la publication de l’ouvrage, cent ans seulement après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg. Le mouvement se poursuit de nos jours, puisque les auteurs s’adaptent aux inventions qui peuvent faciliter leur travail d’écrivain. Face à son écran, il peut rédiger son texte, le mettre en page, le publier seul, sans passer par une maison d’édition, dans son blog quotidien ou sous une forme dématérialisée, tout en demeurant en contact avec son public.
Subsiste, cependant, le problème du lectorat. Le nombre de ceux qui peuvent lire en basque a diminué drastiquement, en référence à la pyramide des âges et les nouveaux bascophones ne naissent pas aussi facilement qu’on aurait pu le croire il y a quelques décennies. La consommation de la littérature, il est vrai, a toujours été minoritaire, quelle que soit la langue, et bien sûr en basque, idiome qui souffre toujours dans une situation diglossique évidente. Les écrivains continuent malgré tout à créer, à publier, si ce n’est pour eux-mêmes, sinon pour ce lecteur unique, lointain, un peu fantôme, qu’ils imaginent avoir quand ils écrivent !
Itxaro Borda
écrivaine
28-12-2018
La Bibliothèque et les Archives Azkue sont au service d’Euskaltzaindia. De plus, elles sont ouvertes à tous les chercheurs et s’efforcent dans la mesure de leurs possibilités d’encourager la recherche et d’aider à la diffusion des thèmes culturels basques.