Brève histoire de la littérature en basque en Pays Basque Nord

1. Les langues littéraires en basque et les différents genres

Les cinq dialectes littéraires principaux

Dans l’ordre, cinq dialectes littéraires principaux ont été utilisés hors de leur province. En Pays Basque Sud (Espagne), le basque occidental (Biscaye, Alava, ouest du Guipúzcoa), et au centre et nord le gipuzkera osotua (guipuscoan complété) ; en Pays Basque Nord (France), le labourdin classique (lapurtar klasikoa) et le navarro-labourdin enfin, qui supplanta le labourdin classique car plus adapté au journalisme (hebdomadaire bilingue Eskualduna par exemple). Actuellement, le basque standard ou euskara batua (basque unifié) est la langue dans laquelle sont publiés la plupart des livres. Certains magazines publient encore en dialectes (théâtre, chansons).

Dans un domaine aussi fluctuant et vivant que celui d’une langue, il est difficile de faire des découpages nets des parlers et littératures, entre l’ouest et l’est, le nord et le sud. Depuis le XIXème siècle, les courants littéraires du sud gagnent lentement le nord ; en effet le sud s’urbanise vite et le basque au nord continue à vivre dans un ruralisme idyllique pour les riches alors que les pauvres sont condamnés à l’exil.

La littérature populaire : la pastorale

S’il y a une originalité dans la littérature basque, c’est dans la littérature populaire qui marque sa résilience en évoluant lentement et sans à-coups. Ainsi un théâtre de tragédies religieuses de scénographie médiévale, la pastorale longtemps limitée au Pays de Soule, a évolué depuis le XVIIIème siècle avec pour héros d’abord des saints, des prophètes, des rois et reines catholiques, puis au XXème siècle des sujets de l’histoire basque et ancienne (Bereterretxe, Iparragirre, Zumalakarregi, Agirre, Monzon). Un auteur, Ttittika Rekalt (Oierkoren trajedia, 2006, Belagileen trajeria, 2009), essaie de laïciser ce théâtre qui hésite entre le spectacle pour touristes et des textes modernes de cas de société.

Ce théâtre fut sauvé dans l’après-guerre par un paysan Etxahun de Trois-Villes (Soule) qui écrivit une dizaine de pièces. Puis vinrent un agronome Jean-Louis Davant, un père bétharramite Junes Casenave-Harigile, un employé de banque Pierre-Paul Berzaitz, un enseignant Jean Bordachar, un ferronnier Jean Mixel Bedaxagar, un agent municipal Patrick Quéheille, un journaliste radio, Titika Rekalt, tous souletins, et enfin trois écrivaines qui donnèrent leurs pastorales à Bayonne pour la première fois, Itxaro Borda (Gerezien denbora, 2014) et Maite Iturbide (Katalina de Erauso, 2016), et à Alçay-Lacarry, Joana Etxart (Joanikot, 2017). Ces spectacles se donnent en plein air, essentiellement, ou en salle devant des milliers de personne.

Ce qui surprend en plein XXIème siècle, et quelle que soit sa croyance religieuse ou non croyance, un héros au théâtre meurt à genoux en implorant la clémence divine, en présence des « anges » et avec la bénédiction épiscopale. Certains ne veulent pas admettre que ce théâtre est religieux… car il est joué par des laïcs !!!

Les Navarrais ont fait deux ou trois essais de pastorales sur leurs héros locaux ces dernières années.

La littérature populaire orale : le bertsolarisme et autres genres

Un autre élément important de la culture populaire est le bertsolarisme, l’improvisation chantée, dont les participants sont jeunes pour la plupart maintenant. Anciennement réservé aux hommes, les femmes ont pénétré et gagné les premiers rangs (Maialen Lujanbio, championne de tout le Pays Basque en 2009 et 2017). Notons qu’en Pays Basque Nord, à la fin du XIXème début du XXème siècle, deux femmes bertsolaris ont connu un grand succès, Mariana Hargain et Aña Deabrua.

En Pays Basque Nord, le bertsolarisme revient progressivement mais n’a pas l’ampleur qu’il connaît au Sud. Une évolution importante s’est faite dans la qualité des propos qui, au début du XXème siècle, ne trouvaient que les femmes et parfois les citadins comme seules têtes de turc. Les bertsolaris désormais ont un niveau d’études secondaires et supérieures en langue basque.

Les anciens tobera, libertimendu et autres modes d’expression tragi-comiques, parodiques ont été retrouvés et ils revivent, en particulier en Basse-Navarre (Mattin Hirigoien, Antton Luku,..) ou sous forme d’un théâtre plus classique (Pantzo Irigarai).

A côté de cela des marionnettistes et des conteurs entretiennent auprès des publics scolaires le goût de la langue. Pour susciter des vocations, l’Académie de la langue basque organise chaque année pour les jeunes un concours de prose et poésie, le prix R. Ma Azkue.

Littérature culte et évolution des idées

Il faut bien s’entendre sur ce qu’est une littérature savante. Faute de bien connaître nos auteurs anciens et vu la rareté des textes profanes, on a collé cette étiquette à des traductions ou à des textes religieux qui ne relèvent pas de genres littéraires. C’est ainsi qu’un bascophile du Pays Basque Nord donna une liste de plus de 200 écrivains pour sauver « l’honneur du Nord ». Parmi eux figurait une ribambelle de prêtres qui auraient écrit une ou deux chansons ou produit une vingtaine d’articles ou une centaine de billets d’humeur. Pour une carrière littéraire, une certaine continuité ou une certaine qualité de la production est nécessaire

Dans les littératures européennes, tout ce qui est en vers n’est pas forcément littérature. Quant à la prose, les genres sont assez précis et ont pour base soit la fiction (romans, nouvelles, contes récits), soit l’essai philosophique ou littéraire.

Par un classement qui m’a beaucoup surpris, même si c’est une création, un texte pour enfant ou pour jeune lecteur n’est pas compté comme littéraire.

Certains discours ou sermons en basque peuvent avoir un style littéraire imagé. Dans le livre de philosophie de Jusef Egiategi (Lehen Liburia. Filosofo huskaldunaren ekheia, 1785), j’ai relevé une cinquantaine de métaphores et de métonymie, pas toutes originales, mais parfois inspirées par la vie errante de l’auteur ou par son enfance rurale.

La production littéraire en basque du XVème siècle au milieu du XXème siècle

La production écrite et orale en basque est marquée par cinq crises de société qui touchèrent Ipar Euskal Herria (le Pays Basque Nord) et Hego Euskal Herria (le Pays Basque Sud).

Première crise : Les guerres seigneuriales (XVème et XVIème siècles)

Ces guerres eurent lieu entre les clans de Beaumont et de Gramont en Navarre et en Soule, entre les Oinaz et les Ganboa en Biscaye, Guipúzcoa et Labourd.

A l’occasion des morts violentes, des femmes composèrent des chants funèbres, eresi zahar. On conteste, parce que ce sont des femmes, la maternité de ces textes, comme on le fit avec Louise Labbé (1524-1566), la poétesse de Lyon, et les Lettres de la Religieuse portugaise (publiées en 1669). On propose des noms de poétesses : la soeur de Milia Lasturko, la fille du château de Butrón, la soeur de Peru Gartzia, la Dame d’Ahetze et Santxa Ozaeta.

Deuxième crise capitale : Réforme et Contre-Réforme

Le protestantisme apparut en Soule et Basse-Navarre dans la deuxième moitié du XVIème siècle. Le pasteur calviniste Jean de Lissarague publia une traduction complète du Nouveau Testament de la doctrine de Calvin en 1571 à La Rochelle, un abécédaire et un calendrier destinés à l’enseignement en basque (Jesus Christ gure Jaunaren Testamentu Berria, Othoitza eclesiasticoen forma, Catechima, Kalandrera, ABC edo Christinoen instructionea).

Les réponses à cette Réforme furent l’épée et la hache et une destruction par les armées catholiques et protestants des bourgs (Mauléon en Soule), des églises, des statues de saints.

C’est au siècle suivant (XVIIème) que la Contre-Réforme catholique appliqua les décisions du Concile de Trente (état-civil religieux en français, écoles primaires pour le catéchisme en basque). Ce fut alors le siècle d’or de la production de livres religieux en basque, généralement plus ou moins bien traduits en labourdin classique. Dans cette masse de textes, deux auteurs appartiennent à la littérature. Ce sont les poètes Joanes Etxeberri de Ciboure, auteur de Noelak (1631), et Pedro de Achular auteur d’un essai modèle de langue Gero (Gero, bi partetan partitua eta berezia, 1643). Dès lors l’Eglise de Bayonne eut jusqu’au XXème siècle une politique de production de livres religieux. Entre le XVIème siècle.et le début du XIXème siècle, la production de livres en basque (une quarantaine) sera religieuse à 98%. Et très peu de ces ouvrages peuvent être considérés comme de la littérature : ce sont des catéchismes et des traductions du latin et du français. 

Pour contrecarrer la destruction des statues de saints qualifiées d’idoles par les huguenots à la fin du XVIIème siècle et au XVIIIème siècle, le théâtre populaire dit de pastorale produira des textes de théâtre sur la vie des Saints.

En Pays Basque Sud, isolés par le rideau de flammes de l’Inquisition et du rideau de fer royal, il y eut peu d’échos de cette crise, et peu de production de livres religieux. Si ce n’est une surveillance des sujets de Sa Majesté britannique dont, quelques-uns furent brûlés, puis plus tard la confiscation des Encyclopédies françaises qui occupa la répression espagnole...

Et les laïcs ?

Certes nous n’avions pas de princes de notre langue ou de riches mécènes occupés qu’ils étaient à piller l’Amérique du Sud et à enrichir les édifices religieux. Il n’y avait pas d’imprimerie en Pays Basque. Entourés d’idiomes romans, il fut plus facile de passer du latin à l’espagnol au français et au gascon.

Toutefois, une riche littérature populaire continua à se développer sans tenir compte de ces considérations. Jusqu’au XIXème siècle, les autorités laïques furent lamentables. En Basse- Navarre, au XVIIème, les livres d’enseignement en basque de Domingo de Bidegaray reçurent une aide du Parlement de Navarre. L’auteur étant décédé, subvention et livres disparurent. Au XVIIIème siècle, le docteur Etcheverry de Sare se vit refuser par le Biltzar du Labourd une aide à la publication de deux livres d’enseignement qui seront publiés au XXème (Escuararen hatsapenac et Euscal-herriari eta Euscaldun guztiei escuarazco hatsapenac latin icasteco.). Les livres du philosophe Egiategi, cité plus haut (1785), furent censurés par la Révolution française.

En castillan, même pour des livres religieux, l’attitude fut la même : cela ne sert pas à l’économie, ni au métier des armes.

Si bien que pour la littérature en Pays Basque Nord, nous n’avons que deux livres, les poèmes de Bernard d’Etxepare Primitiae Linguae Vasconum publiés en 1545 à Bordeaux, sous l’égide de l’archevêque Etxauz, premier livre connu en basque, et les poèmes d’Arnaud d’Oihénart, Atsothitzak eta neurthitzak, publiés à compte d’auteur en 1657 à Paris.

En Pays Basque Sud, la littérature profane restait à l’état de manuscrits et la plupart ont été perdus. Ce fut un hasard si le manuscrit de Juan Perez de Lazarraga, seigneur de Larrea en Alava, fut repéré par un bibliophile averti en 2004. Ce recueil de poèmes de 1565 en basque occidental et une pastorale incomplète ont été achetés par la Diputación de Guipúzcoa pour plusieurs millions d’euros. Ce manuscrit contenait également quelques compositions d’une dame, Estibalitz de Sasiola, en dialecte guipuzcoan.

Troisième crise : L’Ilustración, Les Lumières

Inquiet du progrès des idées françaises et conscient d’une nécessité de moderniser la langue, le prêtre Manuel de Larramendi écrivit son dictionnaire trilingue (Diccionario Trilingüe del Castellano, Bascuence, Latin, 1745), une vaste grammaire (El Imposible Vencido. Arte de la Lengua Vascongada, 1729). Voulant garder une langue pure, il inventa des néologismes peu clairs. Mais surtout il encouragea le clergé du Pays Basque Sud à écrire en basque des livres religieux, ce qu’ils avaient omis de faire pendant deux siècles et demi. Ainsi de bons prosateurs qui agiront plus tard sur la littérature profane apparaîtront, Cardaveraz, Mendiburu, Añibarro, Lizarraga, dans cette seconde moitié du XVIIIème siècle.

La réaction aux idées nouvelles fut très vive dans le clergé du nord. Par exemple Salvat Monho (1749-1821) écrivit une succession de satires contre les clubs jacobins et les fêtes révolutionnaires puis des éloges sur Bonaparte qui réouvrit les églises, puis contre Napoléon qui se conduisit mal envers Sa Sainteté le Pape. Jean-Baptiste Kamusarri (1815-1942) écrivit contre le napoléonisme.

Les littérateurs populaires plus terre à terre écrivirent sur la misère en 1819 (Joanes Etcheto « Katxo » d’Hasparren), sur l’exode des Labourdins avec l’armée napoléonienne en déroute (Domingo Bidart de Saint-Pée) et un baigorriar se vanta en vers d’avoir participé à la fusillade du 2 mai 1808 à Madrid.

Le ton était donné et durant tout le XIXème siècle, ce fut une succession de littératures de pamphlets antirépublicains : par exemple Brève histoire des trois républiques (1890) du moine Michel Elissamburu.

Le chanoine souletin Emmanuel Intxauspe glissa dans son livre pieux Uskaldunaren guthuna un grand chapitre intitulé Erlijionearen etsaiak (Les ennemis de la religion). En 1855, on y voit « Mahometanoak » (les Huguenots), puis dans les éditions de de la 3ème République en 1900, il rajouta les Francs-Maçons « Hargin beltzak ». L’on retrouvera ces trois ennemis dans l’œuvre de Maurras, incluant les Juifs parmi les « Maçons noirs ».

Les attaches d’une majorité de bascophiles aux forces conservatrices vont éloigner de l’usage de la langue basque des mouvements de gauche, au nord comme au sud, et le premier essai de presse de gauche, Le réveil basque (1886), échoua devant la dynamique des bien-pensants de l’hebdomadaire bilingue Eskualduna créé en 1887 et soutenu par l’évêché de Bayonne.

Au Pays Basque Sud, le XIXème siècle voit la publication de trois livres en basque de Juan Ignacio de Iztueta, ses poèmes, les danses du Guipúzcoa et l’histoire du Guipúzcoa, d’un essai de roman chrétien de Juan Antonio Mogel. Des auteurs romantiques, certains de tradition populaire, comme Pierre Topet dit Etxahun-Barkoxe au nord, ou d’autres plus raffinés et élégiaques, comme au nord Jean-Baptiste Elizanburu et au sud Emeterio Arese ou Indalecio Bizcarrondo dit Bilintx.

Quatrième crise. Les premiers pas vers le basque unifié

Cette crise fut la suite de l’échec des guerres carlistes au Pays Basque Sud et de la perte d’autonomie, crise d’indépendantisme de droite dont les frères Luis et Sabino Arana Goiri furent les théoriciens. Sabino voulut purifier la langue des mots étrangers et créa des néologismes dont certains sont parvenus dans l’euskara batua (basque unifié). Quelques écrivains produisirent en littérature mais l’un mourut jeune, Xabier Lizardi (1896-1933), l’autre fusillé par les franquistes en 1937, Lauaxeta. Ces deux derniers tentèrent de faire souffler un air européen à une littérature ankylosée dans le costumbrisme (ruralisme chrétien).

De la réforme de Sabino Arana nous avons gardé des termes : arkatz (crayon), beribil (automobile), hegazkin (avion), ikastola (école totalement en basque), irrati (radio), jaurlaritza (gouvernement) et des prénoms féminins Edurne, Ikerne, Irune, Jasone et masculin Kepa (Pierre), Koldo (Louis).

Rapidement une langue plus classique gagna la littérature basque du sud. D’abord ce fut le gipuzkera osotua (guipuscoan complété) lancé par le prêtre Resureccion Maria de Azkue vers 1905 et qui donna de 1920 à 1960 quelques écrivains de talents, poètes et romanciers en majorité religieux : Andima Ibinagabeitia, Anton Maria Labayen, Manuel Lekuona, Nikolas Ormaetxea, Jokin Zaitegi, etc.

En Pays Basque Nord, trois souletins sont à noter Pierre Lhande, Jon Mirande et Txomin Peillen. Ils écrivirent à leurs débuts en gipuzkera osotua.

Cinquième crise. Passage du costumbrisme à la modernité

Le point de départ est donc le costumbrisme ou ruralisme chrétien conservateur. Il produisit chansons et poèmes le long du XIXème siècle, prit de la vigueur grâce aux Jeux floraux organisés par les frères d’Abbadie dès 1853 et qui s’achevèrent par un Congrès de la Tradition Basque en 1897 à Saint-Jean-de-Luz.

C’est là que les liens des Basques de part et d’autre de la Bidassoa se développèrent et que les bascophiles furent préoccupés par le fait de s’écrire en basque ou en espagnol. Les projets d’une Académie basque et de l’unification de la langue firent alors quelques pas.

Le premier essai de roman basque fut écrit en Pays Basque Sud par le prêtre Juan Antonio Mogel (1745-1804) vers 1808, Peru Abarka, et ne parut qu’en 1881 pour cause de censure (le sujet n’était pas assez religieux). On y voit le schéma manichéen qui va s’attacher au costumbrisme basque du XXème siècle : le terrien ou le pêcheur catholique vertueux opposé à la caricature du citadin impie, fêtard et riche, le berger vertueux pieux versus la belle-famille galicienne impie dans Garoa (1912) d’un autre prêtre, Txomin Agirre, et le pêcheur vertueux et l’arrogant basque d’Amérique impie (« Indianoa ») qui reviendra dans plusieurs oeuvres d’avant 1970.

En Pays Basque Nord, c’est aussi la vision manichéenne rural versus citadin qui apparaît dans l’oeuvre en basque du frère des Ecoles Chrétiennes, Inoxentius Mixel Elizanburu (Qu’étaient les Basques d’autrefois, 1889). On retrouve la même vision du Parisien par le souletin Louis Liguetx et dans quelques pièces de patronage en navarro-labourdin. Au XXème siècle, souvent plus que la ville, le clergé craint l’usine et raconte que devenant ouvriers, les filles deviennent des prostituées et les garçons des communistes. Qu’il vaut mieux, tant qu’à aller en ville, choisir une activité ancillaire chez des bourgeois chrétiens ou dans des églises. Une annonce dans cet esprit-là parut dans le périodique Elgar des Basques de Paris dans les années 1960.

Longtemps, les revues et magazines furent les seuls lieux de publication en basque assez rapides, soit en feuilleton, soit en texte court : Egan (1949), Euzko Gogoa (1949), Gernika (multilingue, 1947), Jakin (1956), Hegats (Association des écrivains en langue basque, EIE), Behinola (1999), Erlea (2009), Lekore (2016).

La littérature contemporaine

La première étape de la crise

Elle va se dérouler entre trois capitales et trois écrivains, à Paris le Souletin Jon Mirande, à Bilbao Gabriel Aresti et à Saint-Sébastien (Donostia) Luis Alvarez Enparantza « Txillardegi ».

Jon Mirande (1925-1972). Dès 1948 et son Soneto, poème en éloge au suicide que cet auteur traita sans moraliser : tout ce que la pensée basque conservatrice s’était évertuée à ne pas écrire, liberté sexuelle et marginaux (pédophiles, alcooliques, assassins, prostituées, pauvres). C’est une poésie basée sur les mythologies basques et celtiques et un rejet total du christianisme (poème contre le Christ). Mirande et moi fûmes encouragés par des prêtres, N. Echaniz, J. Zaitegi : « Ecrivez tout ce que nous pouvons écrire et que nous lisons dans d’autres langues ».

Gabriel Aresti (1933-1975). Cet ami me déclara que, s’il n’avait pas lu Mirande, il ne se serait pas engagé au milieu de cette pauvre et insipide littérature basque. Gabriel Aresti révolutionna la métrique basque ; mais vivant dans un milieu industriel, il créa une poésie sociale qui inspirera des franciscains comme Bitoriano Gandiaga au sud et Manex Erdozaintzi-Etxart au nord. C’est l’époque où le marxisme pénètre dans les séminaires et que s’en détachent nos bons écrivains et universitaires.

C’est à partir de 1954 qu’Aresti publie ses poèmes dans diverses revues puis des livres de très haute qualité poétique comme Maldan Behera (1959), puis idéologiquement plus marqués trois livres bilingues. Ses modèles furent le Biscayen Blas de Otero et le Galicien Miguel Hernández fusillé par les franquistes. Il a écrit, pensant à Brecht, un théâtre de qualité qui n’a pas trouvé son public.

Txillardegi, Luis Alvarez Enparantza (1929-2012). Ingénieur de profession, il est à l’origine de notre roman moderne. En 1957 il publie un roman existentialiste Leturiaren egunkari ezkutua (Le journal caché de Leturia). Dans les années suivantes, il devient avec le linguiste Luis Mitxelena l’un des grands artisans de l’unification de la langue.

Tout cela ne se passa pas sans grimace d’une partie du clergé. Au nord, le père Chabagno, l’abbé Lafitte et la revue chrétienne Herria, l’Enbata de l’époque au nom de la morale, attaquèrent Jon Mirande. Le Biscayen Justo Mokorroa alla voir l’évêque de Bilbao pour faire interdire ses œuvres sur le territoire espagnol. L’évêque répondit que les interdire les ferait mieux vendre. C’est pourquoi le recueil de poèmes de Mirande de 1953 ne parut que vingt ans près sa mort en 1973. Txillardegi fut accusé par Nikolas Ormaetxea ouvertement de pourrir la jeunesse. Gabriel Aresti et Josean Artze furent dénoncés par des laïcs, pour des raisons politiques et morales sans suites graves.

La revue Gure Herria (fondée en 1921) de Bayonne publiait parfois en basque du théâtre de Piarres Larzabal ou de beaux poèmes de l’abbé bénédictin de Belloc, Iratzeder, et quelques vers arcadiens du type « Ma Cabane », « Ma ferme », « Qu’elle était verte ma vallée », etc… Une chronique qui se donnait la peine d’utiliser un langage riche pour parler de l’histoire des pays autour du mont Larrun. C’est le cas de l’œuvre de Zerbitzari (pseudonyme du prêtre Jean Elizalde, 1883-1969). On trouvait quelques fables de temps à autre, quelques récits picaresques écrits par des séminaristes ou des prêtres souletins. Mais dès que le niveau du sujet s’élevait, on passait au français.

La deuxième étape de la crise et la littérature actuelle au Nord

A cette époque, un essayiste Frédérik Krutwig (1921-1998) écrit un livre, Vasconia (1963), qui sera la bible de l’ETA (Euskadi ta Askatasuna) et intéressera enfin la pensée de gauche du Pays Basque au nationalisme. Mais nous étions au temps de Franco et, pour lui plaire, la France expulsa nos deux penseurs, Krutwig et Txillardegi, vers la Belgique. Et le Basque du nord qui avait osé les soutenir, Piarres Xarriton, directeur du Collège technique d’Hasparren et de l’école d’Agriculture contrôlés par l’évêché de Bayonne, fut démissionné.

La littérature basque au Nord profitera du contrecoup et autour du périodique Gazte des jeunes paysans basques une littérature plus sociale apparut, parfois encore nostalgique, pour rompre en grande partie avec le costumbrisme (Daniel Landart, Piarres Larzabal). Elle deviendra plus proche des réalités populaires (Itxaro Borda, Manex Erdozaintzi-Etxart, Guillaume Hirigoyen, Antton Luku, Pantzo Hirigaray). La réalité rurale est présente dans les œuvres d’Itxaro Borda, d’Eñaut Etxamendi et Mikel Zarate.

En 1982, Luzien Etxezaharreta créa avec Itxaro Borda et Piarres Xarriton à Bayonne la revue Maiatz, revue qui contre vents et marées a produit 67 numéros et édité 95 livres en 36 ans. Elle reflète tous ces balancements de la pensée au Pays Basque, entre quelques textes nostalgiques sur le monde paysan disparu et des rejets de la vie urbaine, alors que la majorité se permet d’exprimer des sentiments personnels, ce qui manquait à notre littérature. Maiatz organise des rassemblements Bayonne-Pampelune entre les écrivains du Pays Basque Nord et de Navarre. Avec l’association Hatsa Elkartea, Auxtin Zamora depuis Saint-Pée-sur-Nivelle réunit des versificateurs, du Nord comme du Sud, en un recueil annuel, Hatsaren poesia. Désormais il est difficile de distinguer totalement une littérature basque du Nord ou du Sud.

Il y eut, certes, une perte relative d’importance de la littérature lorsque, préparant l’avenir, il fallut créer entre Elhuyar (lexique scientifique), UZEI (vocabulaire universitaire) et différents groupes de travail de l’Académie de la langue basque / Euskaltzaindia, plus de 150 000 termes. Ceux-ci firent leur entrée dans notre langue et ce travail continue, comme pour toute langue qu’il faut à la fois protéger, améliorer, guider, que ce soit aussi bien les dialectes que la langue standard (euskara batua).

Le rôle de la littérature est revenu. C’est celui de l’expression simple et exacte des choses par certains poètes dont nous chantons les vers : Josean Artze, Gabriel Aresti, Imanol, Ruper Ordorika. Deux écrivains vont faire un bond dans l’innovation poétique. D’abord Bernardo Atxaga avec son poème Etiopia et Joseba Sarrionaindia avec ses poèmes d’exil et de prison. Le Prix national de narration de Madrid (2009) au premier et le prix Euskadi du meilleur essai en basque (2011) au second ont permis de représenter dignement la littérature en langue basque au niveau international.

Enfin, après la mort du dictateur espagnol, Goio Monreal et son équipe fondent l’Université Publique du Pays Basque. Puis viendra celle de Navarre et enfin, avec des moyens beaucoup plus limités et l’acharnement de l’équipe Jean Haritschelhar-Julen Ajuriaguerra, un département interuniversitaire d’Etudes basques, Bordeaux III Montaigne-Université de Pau et des Pays de l’Adour, s’installe à Bayonne. Un seul centre de recherche du CNRS, IKER UMR 5478, est spécialisé dans l’étude de la langue et des textes basques.

Ces créations  universitaires et le développement de l’enseignement scolaire firent des appels d’air et sans arriver à la parité entre les traductions, les créations pour adultes et la littérature pour enfants et jeunes, près du quart des textes est produit par des femmes.

Face aux trois noms de femmes qui avaient écrit un livre dans ma jeunesse, la Guipuscoane Julene Azpeitia, la Souletine Madeleine de Jauréguiberry et la Bas-navarraise Marie-Jeanne Minaberri, nous en avons actuellement une vingtaine dont déjà certaines ont dépassé la douzaine de titres. Sans éclat de presse, on peut citer au Sud ces femmes écrivains: Arantxa Aldalur, Itziar Alkorta, Yolanda Arrieta, Yolanda Elgorriaga, Josune Etxebarria, Mirari Gartzia de Cortazar, Enkarni Genua, Mariasun Landa, Amaia Lasa, Miren Agur Meabe, Laura Mintegi, Bibine Pujana, Eider Rodriguez, Miren Lurdes Oñederra, Gotzone Sestorain, Arantxa Urretabizkaia, Itziar Zubizarreta.

Au Nord, l’équipe de Maiatz comprit ou comprend ces écrivaines : Daniela Albizu, Maddi Anduetza, Aurélie Arcocha, Itxaro Borda, Pantxika Erramuzpe, Maddalen Etxegoin, Luisa Guilsou, Amaia Hennebutte, Arantxa Hirigoyen, Maite Ithurbide, Laurence Larre, Mari-Luisa Lehorburu, Mayi Pelot, Rakel Pardo, Bea Salaberri, Maripi Solbes, Graxi Solorzano, Marikita Tambourin, Mari Treku, Josiane Valencia.

Au Nord, comme au Sud, tous les genres ont été abordés : science-fiction (Mayi Pelot), roman policier (Itxaro Borda), fantastique et humoristico-symbolique (Txomin Peillen), surréalisme (Eric Dicharry et Odon Noblia), littérature jeunesse (Pantxika Erramuzpe, Marijan Minaberri…).

Txomin Peillen n’est pas l’écrivain le plus prolixe du Pays Basque Nord, mais entre les 23 livres de littérature et les 30 de recherche scientifique, je dépasse le nombre de titres publiés dans tout le Pays Basque pendant trois siècles. D’ailleurs, nous avons bénéficié entre 1980 et 2000 d’un âge d’or, lorsque l’édition basque produisait par jour autant de titres que les trois siècles précédents.

Notons également le travail de l’abbaye de Bellocq (revue Ezkila) et des diocèses basques pour l’unification de la langue liturgique et des textes sacrés œcuméniques, Ancien et Nouveau Testaments. La qualité obtenue est due à l’abbé de ladite abbaye et poète Xavier d’Iharts « Iratzeder », de l’Académie de la langue basque, et à la musique du père Lertxundi. Des périodiques relèvent encore d’ordres religieux (Karmele) et, parmi les écrivains, il y a encore environ dix pour cent de prêtres. Mais nous ne sommes plus au niveau du catéchisme, ni du patronage.

Revenons à la case départ. Autrefois la revue littéraire remplaçait les livres et maintenant que les livres sont fortement concurrencés par l’Internetisme aigu, nous revenons aux revues et aux recueils d’auteurs multiples. La littérature basque dépend encore des autorités et, comme partout en Europe, elle fait partie des inutilités qui ne sont pas rentables quand des autorités de droite dépendant du patronat financent la culture.

Si nous avons connu des décennies d’or de la littérature depuis 1980, nous le devons à des maisons d’éditions dynamiques, Erein, Euskaltzaindia, Maiatz, Pamiela, Susa, Txalaparta, Utriusque Vasconiae, etc. et à l’aide compensatoire à notre retard apportée par le Gouvernement Basque d’Euskadi (Eusko Jaurlaritza). La littérature reçoit aussi de l’aide de l’Office public de la langue basque et de l’Institut culturel basque pour le Pays Basque Nord. 

Le rôle de l’Académie royale de la langue basque (Euskaltzaindia)

Protéger, améliorer la langue par ses recommandations, par ses 184 règles ou normes (février 2018). Cette académie a souffert des deux régimes fascistes (Primo de Rivera et Franco) ; elle a réussi à réunir un corpus et à imposer une orthographe unifiée. Puis après la mort des dictateurs, elle a repris avec une vitesse croissante son travail de modernisation de la langue : ce que beaucoup de langues ont fait en trois quatre siècles, il a fallu le faire dans l’espace d’un siècle et il faut continuer à la perfectionner. L’Académie, Euskaltzaindia fut fondée en 1919 sous l’égide d’Alphonse XIII et reconnue institution royale par Juan Carlos en Espagne. Le basque est langue co-officielle avec le castillan en Navarre et dans la Communauté autonome d’Euskadi.

Dès le départ, l’Académie comprit des membres des deux côtés de la Bidasoa. Parmi les douze premiers, trois étaient du Nord : le prêtre Jean-Blaise Adéma, le médecin Pierre Broussain et le prêtre Pierre Lhande.

Le dictionnaire général établi sous l’autorité de l’académicien Luis Mitxelena compte plus de 20 000 pages (Orotariko Euskal Hiztegia, 1987-2005), la grammaire environ trois mille et le dictionnaire en deux volumes entièrement en basque avec définitions et exemples de l’Académie 45 000 mots (Euskaltzaindiaren Hiztegia. Adierak eta adibideak, 2016). Sans compter les milliers de page de recherche de la collection IKER.

Pour la France, l’Académie n’est qu’une association reconnue établissement d’utilité publique sans l’autorité de l’officialité, contre laquelle l’Académie française a manifesté son opposition alors qu’au Sud nous avons d’excellentes relations et des activités communes avec l’Académie royale de la langue espagnole de Madrid.

Pour le Pays Basque Nord, l’Académie dispose d’une délégation à Bayonne dans des locaux du Château-Neuf. Mais, sans doute à cause de l’éducation gauloise et brouillonne, il est difficile de se faire écouter par les bascophones quand l’esprit de clocher domine : qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un « son ».

Txomin Peillen
Académicien basque émérite
Février 2018

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