Le basque unifié, les dialectes et le français en Pays Basque Nord :
l’enquête sociolinguistique de 2018

Introduction : les motivations de l’enquête

La revitalisation de la langue basque est en cours depuis plusieurs dizaines d’années au Nord du Pays Basque (France) comme au Sud (Espagne), et le basque unifié en est un outil majeur. Depuis la fin des années 1960, l’Académie de la langue basque développe une forme de basque standard écrit (euskara batua) dont elle a fixé l’orthographe, les formes verbales, le lexique commun et de certaines spécialités, l’orthographe des principaux noms propres basques et étrangers, etc. Ce basque unifié comme toute langue standardisée n’est pas uniforme. Il est maintenant utilisé dans les administrations, les grands médias, l’enseignement de la maternelle à l’université, une part importante de la littérature, en Pays Basque Sud, mais aussi au Nord. Permettant l’intercompréhension entre Basques de dialectes très éloignés, il est devenu parfois langue maternelle dans les régions et les grandes villes où le basque n’était plus parlé.

Comprendre à l’heure actuelle les relations entre le basque unifié, les dialectes et le français en Pays Basque Nord sera utile à l’Académie, mais aussi est essentiel à l’amélioration de l’efficacité des politiques linguistiques qui se développent en faveur de la langue basque.

De nombreuses questions se posent. Quelle place ont respectivement le basque unifié, les dialectes et parlers locaux et le français, sachant que tous les bascophones parlent aussi français maintenant ? Quelle forme a le basque unifié utilisé au Nord ? Quand est-il utilisé ? Quelle cohabitation et quel avenir pour les dialectes avec cette nouvelle forme de basque ? Quel avenir pour le basque, au sens large, face à la puissante langue nationale, sans évoquer l’anglais ?

Pour essayer de répondre à ces questions concernant une réalité sociolinguistique complexe, qui évolue constamment et qui est très peu étudiée, nous avons conçu une enquête en basque sous la forme de 13 questions écrites à retourner par courriel (30 personnes) ou d’interviews enregistrés (10 personnes). En voici les principaux résultats et d’abord le profil des enquêtés. Voir aussi en complément les textes explicatifs proposés au sujet du basque unifié dans l’Introduction.

Le profil des enquêtés

Nous ne voulions pas recueillir les opinions, jugements de valeur et autres sentiments linguistiques de bascophones ordinaires ou de non-bascophones vivant en Pays Basque Nord et mettre en évidence les clichés, les stéréotypes, les préjugés que l’on peut entendre ici ou là. Notre population-cible est autre, c’est celle des professionnels de la langue : enseignants, écrivains, journalistes, traducteurs, techniciens de la langue employés dans les collectivités territoriales… Ce sont des transmetteurs publics de la langue basque ; ils proposent aux usagers un modèle de langue. Au sens large, ce sont tous des prescripteurs de la langue, directement comme les enseignants par exemple ou indirectement comme les journalistes.

Voici les principales caractéristiques des 40 enquêtés que nous avons retenus. Ce sont 14 femmes et 26 hommes entre 35 et 90 ans. 32 sont nés en Pays Basque Nord dont 15 en Basse-Navarre ; mais ils vivent majoritairement sur la côte en Labourd (24 enquêtés), surtout dans l’agglomération Bayonne-Anglet-Biarritz. 35 ont eu le basque comme langue maternelle (cette donnée est importante au moment de tirer des conclusions des données de cette enquête). On compte 13 enseignants, 6 écrivains, 6 journalistes, 6 techniciens de la langue, 4 traducteurs et 5 personnes travaillant en basque au quotidien dans la culture.

Les résultats de l’enquête

3.1. Les réponses aux 7 questions fermées (oui-non) et les commentaires joints par les enquêtés

1. A votre avis y a-t-il un basque unifié particulier maintenant en Pays Basque Nord ?

Oui : 23 (57,50 %). Non : 11 (27,50 %). Oui et non : 3 (7,50 %). Pas de réponse : 3 (7,50 %).

Voici le commentaire d’un enquêté ayant dit oui et non : « Il m’est difficile de répondre oui ou non, je dirais qu’il y a une tendance générale, mais je ne crois pas qu’on utilise un même « basque unifié du Nord » à Saint-Palais et Hendaye ». Saint-Palais se trouve à l’intérieur du Pays Basque, en zone rurale, avec une forme dialectale particulière. Alors qu’Hendaye se trouve sur la côte, à la frontière avec le Pays Basque Sud, avec une population cosmopolite, même au plan de la langue basque.

2. Si vous avez répondu oui, pensez-vous que nous avons maintenant un basque unifié écrit en Pays Basque Nord ? Si c’est oui, quelles sont ses caractéristiques ?

Oui : 20 (50,00 %). Non : 3 (7,50 %). Oui et non : 5 (12,50 %). Pas de réponse : 12 (30,00 %).

3. Si vous avez répondu oui, pensez-vous que nous avons maintenant une sorte de basque unifié à l’oral en Pays Basque Nord ? Si c’est oui, quelles sont ses caractéristiques ?

Oui : 20 (50,00 %). Non : 6 (15,00 %). Oui et non : 2 (5,00 %). Pas de réponse : 12 (30,00 %).

Ceux qui pensent qu’il y a une forme particulière de standard écrit (50 % des enquêtés) considèrent que les règles de l’Académie sont appliquées, les mots nouveaux employés, mais en conservant le lexique du Pays Basque Nord ce qui permet de reconnaître facilement un auteur du Sud ou du Nord. A l’oral, l’intonation, l’accent sont influencés par le français et le dialecte si le locuteur en parle un. En conséquence, le basque unifié parlé en Pays Basque Nord a ses spécificités.

4. Est-ce que le basque unifié porte tort aux dialectes du Pays Basque Nord ?

Oui : 3 (7,50 %). Non : 32 (80 %). Oui et non : 3 (7,50 %). Pas de réponse : 2 (5,00 %).

La grande majorité pense que non. Selon certains, ce qui porte tort serait de mal utiliser le basque unifié, de penser que les dialectes sont limités et incorrects et que les particularités linguistiques du Pays Basque Sud constituent le véritable basque unifié. Opposer standard et dialecte est un faux procès, si l’on utilise chacun dans les bonnes circonstances. Voici un autre commentaire qui revient plusieurs fois : « Le français porte beaucoup plus tort aux dialectes que le basque unifié ».

5. Faut-il conserver les particularités des parlers du Pays Basque Nord ? Pourquoi ?

Oui : 37 (92,50 %). Non : 0 (0 %). Oui et non : 2 (5,00 %). Pas de réponse : 1 (2,50 %).

Ici l’unanimité est encore plus grande (92,50 %). Le qualificatif très utilisé est celui de richesse (« richesse », « enrichit », « riche », « plus riche », etc.). Vingt-et-un enquêtés l’ont utilisé sous une forme ou une autre (évidemment sans se consulter). Les parlers du Nord enrichissent le basque unifié, ils donnent du plaisir à parler, ils sont un lien utile entre les générations. Mais ils ne sont pas assez protégés et ils s’appauvrissent.

6. La diversité linguistique est-elle utile à la langue basque ?

Oui : 35 (87,50 %). Non : 1 (2,50 %). Oui et non : 0 (0 %). Pas de réponse : 4 (10,00 %). 

Cette question est assez proche de la question 5 et l’unanimité est assez grande. Parmi les commentaires, un enquêté indique qu’il est utile d’avoir plusieurs outils (basque unifié, dialecte, parlers local et familial), des registres. Ici à nouveau plus d’un enquêté évoque la notion de richesse.

7. Pensez-vous que le basque unifié est nécessaire en Pays Basque Nord ? Pourquoi ?

Oui : 38 (95,00 %). Non : 0 (0 %). Oui et non : 1 (2,50 %). Pas de réponse : 1 (2,50 %).

C’est quasiment la majorité absolue (95 %). Et aucun enquêté ne dit que le basque unifié n’est pas nécessaire en Pays Basque Nord. Même si cette population-cible est spécifique, constituée de prescripteurs de la langue basque, et sûrement avec un a priori favorable au basque unifié, cette unanimité peut surprendre. En effet, rappelons-le, 87,50 % des enquêtés sont des locuteurs natifs d’une forme dialectale. Ils n’ont découvert le basque unifié que plus tard dans leur vie.

Les deux principales raisons évoquées de la nécessité du basque unifié sont le besoin de se comprendre avec les Basques du Sud et l’utilité d’une langue standardisée pour répondre à tous les besoins de la vie moderne actuelle (enseignement, administration, médias, nouvelles technologies, loisirs, etc.).

3.2. Les réponses aux 6 questions ouvertes

8. Quelles sont les difficultés liées au basque unifié en Pays Basque Nord ?

La formulation de cette question n’est pas neutre. Elle laisse entendre qu’il y aurait des “difficultés”. Il s’agissait de savoir si c’était le cas et, si oui, quel type de difficultés. L’ensemble des observations peut être synthétisé en 6 grands types.

- Le “problème” ce n’est pas le basque unifié, c’est le français.

- Le basque unifié n’est pas du Pays Basque Nord (PBN), il est trop lointain et mal présenté.

- Le basque unifié n’est pas bien connu en Pays Basque Nord, d’où un mélange avec le basque local.

- Le basque unifié est un problème pour ceux qui ne sont pas alphabétisés en basque (plutôt des personnes âgées).

- Le basque unifié peut affaiblir les dialectes et parlers du Nord.

- La « musique » du basque unifié n’est pas la même. Ce dernier point n’est évoqué que par deux enquêtés.

9. Parmi les fautes faites en Pays Basque Nord, quelles sont les plus graves selon vous ? Quelles sont les plus fréquentes ? Pouvez-vous donner des exemples ?

Comme souligné, tous les informateurs sont des prescripteurs publics de la langue. Il s’agit ici d’évaluer quelle est selon eux la qualité de la langue. Puristes, hyper-correcteurs, ou au contraire laxistes, partisans de la liberté, chacun pouvait s’exprimer. Certains ont d’ailleurs mis en doute la notion même de faute.

Mais beaucoup en ont cité, parfois une dizaine. Le lecteur ne connaissant peut-être pas le basque, disons que le phénomène le plus cité est l’influence du français sur la façon de parler basque : on pense dans cette langue et on traduit en basque. L’erreur la plus citée est la perte du cas ergatif (le basque est une langue à cas) qui marque le sujet d’un verbe transitif.

10. Vous, où, quand et avec qui utilisez-vous le basque unifié ? et 11. Vous, où, quand et avec qui utilisez-vous votre dialecte ?

C’est avec les Basques du Sud et au travail que le basque unifié est le plus utilisé (rappelons que tous les enquêtés travaillent en basque).

Le dialecte est, comme on pouvait s’y attendre, le registre de la proximité : famille, parents, amis, voisins (dans les villages), personnes âgées. Mais il est aussi utilisé dans une moindre mesure au travail, entre collègues, alors que le basque unifié est la langue du / de travail.

12. Selon vous quel est l’avenir du basque unifié et des dialectes en Pays Basque Nord ?

Ici comme personne ne sait exactement ce qui se passera, l’objectif était de recueillir des opinions, des sentiments, ceux des pessimistes comme des optimistes, des partisans du basque unifié et des autres… 5 enquêtés sur les 39 qui ont répondu disent qu’ils ne savent et cinq autres ne donnent pas de réponse claire.

L’opinion la plus partagée, 19 enquêtés, est que le basque unifié va se renforcer. Parmi eux 11 pensent que les dialectes dans le même temps vont s’affaiblir et 3 qu’ils vont disparaître. Vient ensuite l’opinion que standard et dialectes cohabiteront, 5 enquêtés. Puis que les deux s’affaibliront, 4 enquêtés. Enfin, que dialectes et standard disparaitront, 1 enquêté.

13. Avez-vous quelque chose à ajouter concernant le basque unifié ou les dialectes en Pays Basque Nord ?

Cette dernière question donnait la possibilité de rajouter librement des observations que les autres questions n’avaient pas incité à faire. 33 enquêtés l’ont mise à profit, preuve de leur intérêt pour ce sujet. Résumer ici ces commentaires, parfois d’une demi-page, n’est pas possible.

Terminons donc avec un de ceux-ci : « Selon moi c’est une fausse guerre. Un débat idéologique. Le basque unifié comme nous le comprenons maintenant est un dialecte de plus. Si nous croyons qu’il est au-dessus des dialectes ou si nous en arrivons à rejeter ceux qui parlent en dialecte, alors c’est le basque lui-même qui est perdu ».

Les principales conclusions tirées de l’enquête

Etudier la relation actuelle entre le basque unifié, les dialectes basques et le français en Pays Basque Nord est une tâche complexe. Nous avons essayé d’apporter quelques éléments de compréhension par le biais de cette enquête, alors que très peu d’études sont consacrées à cet écosystème linguistique. Synthétiser les réponses à 13 questions de 40 enquêtés, soit théoriquement 520 réponses, est aussi une tâche difficile.

Voici néanmoins quelques-uns des principaux résultats :

  • 95 % des enquêtés estiment que le basque unifié est nécessaire en Pays Basque Nord.

  • 92,5 % estiment qu’il faut conserver les particularités des parlers du territoire, ce qui n’est pas contradictoire.

  • 80 % estiment que le basque unifié ne porte pas tort aux dialectes locaux.

  • Un peu plus de la moitié pensent qu’il existe maintenant une forme de basque unifié propre au Pays Basque Nord. Ceci est dû à deux raisons principales : l’influence du français (tous les bascophones sont bilingues) et celle des dialectes du Nord.

  • Aucun des enquêtés n’a dit que le basque unifié n’était pas nécessaire.

  • Pour simplifier, ce n’est pas le basque unifié qui en soi porte tort aux dialectes mais l’omniprésence du français dans la vie du territoire et la faible transmission des dialectes, tant familiale que scolaire. En effet, on observe un fort développement de l’enseignement du basque et en basque, surtout au niveau de la maternelle et du primaire, mais généralement les formes dialectales ne sont pas enseignées.

  • C’est avec les Basques du Sud et au travail que le basque unifié est le plus utilisé. Le dialecte, quand on en parle un, est utilisé en famille, avec la parenté, les amis. Il est aussi utilisé au travail, pour parler entre collègues, alors que la langue du / de travail est le basque unifié.

  • A l’avenir, les dialectes et parlers locaux devraient donc s’affaiblir alors que la présence du basque unifié en Pays Basque Nord devrait se renforcer, si la dynamique en cours se maintient.

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