Le festival de poésie Irailekoak s’est tenu aujourd’hui à Itxassou. Le maire d’Itxassou Mizel Hiribarren et le président d’Euskaltzaindia Andres Urrutia ont ouvert le festival et ont souhaité la bienvenue au public rassemblé dans la salle Sanoki. Puis la professeure Katixa Dolhare-Zaldunbide a présenté une conférence au cours de laquelle elle a analysé les orientations de la poésie au Pays Basque Nord, ajoutant des informations importantes. Elle a fait quelques remarques pertinentes sur la nature du travail : « Etant donné l’absence d’analyse profonde de la poésie au Pays Basque Nord au cours des quatre-vingt-cinq dernières années, nous présenterons au moins un panorama général, en évoquant des poètes majeurs mais aussi des poètes inconnus dont nous dirons quelques mots ». Elle a donné un exemple clair des difficultés ou des limites avant de choisir de mettre à part le travail d’Itxaro Borda, poétesse, écrivaine et académicienne : « Je ne citerai pas ici l’œuvre d’Itxaro Borda, la plus prolifique des poétesses : de sa plume les poèmes coulent comme de l’eau. Elle n’a pas seulement créé un jardin, elle a créé tout un territoire, avec ses lumières et ses ombres, sa surface et sa profondeur, laissant à l'ombre les autres floraisons (...). Deux ou trois thèses seraient nécessaires pour analyser dignement l’œuvre d’Itxaro Borda, et non pas seulement un paragraphe comme je pourrais le faire ici (mais je ne le ferai pas) ».
Au début de sa conférence Katixa Dolhare-Zaldunbide a également précisé qu’elle ne souhaite pas créer de hiérarchie de jugement parmi les poètes qui produisent beaucoup et ceux qui produisent peu, ceux qui sont connus ou inconnus : « Mon objectif sera simplement d’expliquer qui sont les poètes actuels du Pays Basque Nord, quel type de textes ils ont écrits, quelle place ils ont dans la littérature du Pays Basque Nord et dans la mémoire des gens ».
Elle a cité les poètes par groupes, en soulignant les particularités de chacun. D’abord les classiques (« qui sont dans les bibliothèques, dans le cœur, dans la mémoire, sur les lèvres des amateurs de poésie »), puis ceux qui « participent à la création poétique du Pays Basque Nord ».
Après avoir donné les précisions nécessaires, elle a énuméré les revues, les livres et les pages web publiés ces derniers mois. La conférence de Katixa Dolhare-Zaldunbide est le fruit d’une recherche précise et profonde de sa part. Elle a conclu sa conférence en disant que dans l’activité poétique au Pays Basque Nord « on peut difficilement séparer la poésie, le chant et le bertsolarisme », car « les vers d’un bertsolari ou les compositions d’un chanteur ont une grande valeur poétique ». Elle a compté 70 noms dans son exposé (60 % d’hommes et 40 % de femmes).
Elle a cité les principaux poètes lyriques et a bien sûr commencé par Xalbador : « A mon avis, la poésie lyrique au Pays Basque Nord commence avec les vers de Xalbador (1920-1976). Le bertsolarisme écrit et la poésie sont des arts identiques, selon Fernando Aire (...). Xalbador était alors poète, tout comme Etxahun Iruri (1908-1979), Berjinanto (1912-1987), Larreko (1924-2013) et bien d’autres ». Elle a également cité les caractéristiques de la poésie de Xalbador : « Ses sujets de prédilection étaient la maison, la famille, la langue basque et le peuple ; il a mélangé le ton réaliste avec le pessimiste lyrique et émouvant, mettant en Dieu son espoir pour l’avenir ».
Elle a également mentionné le moine bénédictin Xabier Iratzeder (Jean Diharce), contemporain de Xalbador, « un poète prolifique, auteur d’une quinzaine de recueils de poèmes ». « Fasciné par la beauté et le mystère du monde, tout était pour lui sujet de poésie, de chant, il évoquait de manière humble et touchante les joies, les doutes et les peines qu’il ressentait », explique Katixa Dolhare-Zaldunbide. Elle a ensuite évoqué un autre contemporain, Mixel Labéguerie (1921-1980), « le poète abertzale qui a donné un renouveau au chant ». « Il ne nous a pas laissé une œuvre aussi vaste, mais les vingt-trois chansons qu’il a écrites sont complètement enracinées dans notre culture populaire ».
Et après ces trois poètes qui ont loué la nature, le peuple, la langue basque, la basquitude, l’espérance, apparaît Jon Mirande qui, comme le reconnaît Katixa Dolhare-Zaldunbide, était vraiment « plein d’amertume et de désespoir ». Ses sujets de prédilection étaient la peur et le dégoût ». Pourtant son talent linguistique suscite l’admiration : « Mirande fut un poète aussi polémique que pathétique, qui haïssait tout le monde et, en premier lieu, lui-même ».
Elle a cité ensuite d’autres écrivains comme Marijane Minaberri (1926-2017) et a souligné le « ton ludique et émouvant » de ses textes ; elle a également évoqué les « poèmes stylistiques et intellectuels » de Txomin Peillen, tout comme Manex Erdozaintzi-Etxart (1934-1984), « maître et poète exemplaire », qui a évoqué « la langue basque, la basquitude et le peuple, d'abord pour alléger la douleur de l'exil, puis pour éveiller la conscience des gens ». Elle a aussi cité les poèmes de Jean-Louis Davant (1935-), auteur de théâtre, de pastorales et essayiste, qui fait preuve « d’une introspection et d’une érudition remarquables » ; les textes « élaborés, engagés et humoristiques » d’Eñaut Etxamendi (1935-), enseignant, chercheur et chanteur, textes imprégnés d’une émotion lyrique populaire ; les travaux du poète-chanteur Manex Pagola (1941-2018), souvent liés au nationalisme et à la revendication politico-sociale ; le poète Auxtin Zamora (1943), qui « tente toujours de saisir les moments éphémères de la vie, qui veut rendre éternels par les mots qu’il choisit un sentiment, un évènement naturel, un geste quotidien, une anecdote comique ; Egiaren egarriz, œuvre unique de Henriette Aire (1943-), qui « a apporté à la poésie du Pays Basque Nord des thèmes nouveaux, avec un point de vue féminin, par exemple le droit de choisir sa vie, la difficulté à être acceptée par la société, la foi en l’amour… Elle a également souhaité évoquer Daniel Landart (1946-), qui exprime « un autre type de réalisme », c’est-à-dire les ventes de maisons à des étrangers, le tourisme de masse, les conditions de travail révoltantes dans les usines, les inquiétudes et les attentes des abertzales vis-à-vis de l’avenir… ; la poésie « très singulière » de Mayi Pelot (1947-2016), « qui joue avec des sons, des images et des rythmes », « qui nous fait pénétrer dans la complexité des relations humaines avec des poèmes symbolistes et érudits » ; le travail de Jon Casenave (1957-), qui aborde principalement le thème de l’amour ; et enfin les particularités de l’œuvre d’Aurelia Arkotxa (1953-), « poésie très élaborée et originale ».
Autres poètes
Dans son intervention, Katixa Dolhare-Zaldunbide a évoqué les poètes du premier groupe, qui pour l'instant ont eu un parcours plus prolifique, mais elle en a cité bien d’autres, parmi lesquels Xabier Soubelet (1953-), Jakes Ahamendaburu (1961-2022), Manex Lanatua (1948-), Txomin Heguy (1956-), Joseba Aurkenerena (1956-), Marikita Tambourin (1946-) ou Mari Ameztoi (1946-), Ttotte Etxebeste (1960-), Luixa Guilzu...
Elle s’est aussi intéressée à des poètes plus jeunes et a mis en lumière trois d'entre eux, Ur Apalategi (1972-), Eric Dicharry (1969-) et Odon Noblia (1974-). Elle a cité enfin les noms de Daniela Albizu, Arantxa Hirigoien, Patxika Etxalai, Pantxoa Etxegoin, Jakes Lafitte, Graxi Solorzano, Txomin Heguy, Maddi Zubeldia, Peio Jorajuria, Luzien Etxezaharreta, Maialen Etxegoin, Nicole Etxart et Piarres Aintziart.
Cette longue énumération a eu certaines conséquences. Selon l'enseignante, quelques points sont à souligner :
- Après ce panorama rapide, nous constatons qu’au Pays Basque Nord aucun poète de moins de cinquante ans n’a publié de recueil de poèmes.
- Il faut également souligner que la transmission de la poésie s’avère difficile, que ce soit à la maison ou à l’école.
- Les jeunes sont-ils éloignés de la poésie ? Pas exactement. Ce qui se passe c'est que les jeunes préfèrent d'autres formes d'expression, des formes plus collectives, publiques, qui ont une plus grande visibilité, qui peuvent être plus étroitement liées aux grands événements sociaux.
- Où est donc la poésie du Pays Basque Nord ? Il faut reconnaître que les jeunes générations s’intéressent à la poésie mais en dehors des livres et des revues écrites, du bertsolarisme ou de la chanson, car, comme on l'a dit au début, ce ne sont pas des domaines différents. Parce que « la rime ne s’arrête pas / je ne renie pas l’ancienne école » (ez da bukatzen errimategia / ez dut eskola zaharra ukatzen), comme le dit le rappeur Ødei dans sa chanson « Ene lurretatik » (Thérapie sur le disque, 2022).
Après tout, ce que constate Katixa Dolhare-Zaldunbide n’est pas une situation pessimiste, ou tout au moins pas trop pessimiste : « Au Pays Basque Nord, dans une société aussi restreinte, on ne peut pas dire que la poésie est à l’agonie. Si l’on apprécie l’art écrit (qu’il s’agisse d’écrire ou de lire), on peut dire que ce genre littéraire n’est pas en bonne santé, pourtant il perdure sous d’autres formes, qui ont un rôle salvateur ».
Après l'intervention de Katixa Dolhare-Zaldunbide, la poésie et la musique se sont unies sur la place du haut du village d'Itxassou, où une lecture poétique a été réalisée par Auxtin Zamora, Maddi Sarasua et Harkaitz Cano. Le musicien Pantxix Bidart a animé cet évènement qui a connu un franc succès. Dans l'après-midi, on a assisté à Munduko poesia Kaierak, avec un évènement itinérant auquel de nombreuses personnes ont participé. Et le soir, l'église d'Itxassou a accueilli un double concert : celui de Maddi Oihenart et Jérémie Garat et de Alidé Sans. Une belle fête colorée pour clôturer cette première journée de Irailekoak.
Demain, la littérature d’Occitanie sera à l’honneur
Avec Irailekoak, on veut faire connaître le travail des poètes basques, mais sans oublier le travail des poètes d'autres régions. Dans ce sens, l'écrivain et traducteur Sergi Javaloyès proposera demain une conférence intéressante à la crèche d'Itxassou (Elizaldea). Il analysera en profondeur la littérature en occitan.
Iraileko paperak
Pour témoigner de ce qui a été fait pendant ces deux jours, Euskaltzaindia a publié le deuxième numéro du magazine Iraileko paperak, « comme souvenir intellectuel et poétique ». Cette année, l’artiste peintre Christine Etchevers a agrémenté de ses œuvres ce deuxième numéro du magazine qui a été distribué aux poètes et aux spectateurs qui ont participé au festival.





